Réalisation : Tenguiz Abouladzé Scenario : Tenguiz Abouladzé et coll.

Date : 1984     URSS

Durée : 153 mn

Acteurs principaux : 

Avtandil Makharadze : Varlam / Abel la Nididze : Guliko

Zeinab Botsvadze : Ketevan

A/ SA

Mots-clés :  dictateur – perversion –  vengeance –  culpabilité - courage

 

repentance

« Le repenti » n’est pas un titre conforme à cette histoire de dictateur et de vengeance froide. Aucun « repenti » n’y est identifié. Les seuls qui auraient pu être concernés, sans évidemment n’avoir jamais été traversés par ce sentiment, c’est Varlam Aravdize, le dictateur local que nous rencontrons lors de ses émouvantes funérailles, et son fils, Abel. Ce dernier et sa femme ont bien profité du système. Ils vivent dans la somptueuse demeure du pater familias, à l’abri du travail et du besoin. Les notables locaux, réunis autour du cercueil, sont aussi recueillis que possible, ainsi que deux « fidèles collaborateurs », des marionnettes passablement abruties, désormais au chômage technique, avec la disparition de leur maître. Pas l’ombre d’une critique ou d’un regret exprimée par cette communauté soudée par la lâcheté intéressée et le mensonge silencieux. Le seul personnage innocent dans ce monde lisse est le petit-fils de Varlam, Tornike.  Le jeune homme est attentif à ce qui se passe.  Il aime certainement son grand-père dont il ne connaît rien des agissements criminels.  

C’est Tornike qui blesse et fait capturer le personnage qui, de façon scandaleuse, réussit à trois reprises déterrer le corps du dictateur défunt. Chaque fois, avec une belle insolence, le profanateur a exposé contre un arbre la dépouille empaquetée face au balcon central de la belle demeure familiale.  

C’est une femme qui profanait la tombe. Elle a un nom, Ketevan. Elle a l’âge d’Abel, qu’elle a côtoyé, enfant. Elle est la fille d’un défunt peintre reconnu, Sandro Barateli, expédié au goulag par Varlam. Celui-ci s’est débarrassé de Sandro quand ce dernier a refusé de mettre son talent au service de l’art communiste, donc à son service.  

C’est une méthode pratiquée en démocratie : « Tu as le choix : tu cesses d’exister ou tu existes de telle façon que tu n’existes plus. » Figurez-vous que c’était la proposition que m’avait faite une médecin de l’ARS : « Nous vous validons comme centre d’addictologie, à condition de laisser de côté votre façon de travailler ». Comme disait Desproges : « Etonnant, non !? ».  

Ketevan appartenait à une famille pratiquante, les Barateli, que Varlam jalousait et vivait comme rivale. Le refus poli et argumenté de Sandro, homme juste, droit et non violent, a été un prétexte suffisant pour que le tyran élimine la famille. Varlam a prononcé l’arrestation et la déportation de Sandro puis de la maman de Ketevan, alors petite fille.

Lors de son procès, Ketevan raconte l’histoire. Tornike découvre que son grand-père était un monstre et que le système politique auquel il doit son statut de privilégié est une dictature cynique. Pour s’affirmer coupable, un prévenu, ami de la famille Barareli, a dû avouer qu’il avait creusé un tunnel de Bombay à Londres… Tornike prend également conscience que ses parents et son père, en premier lieu, ont cautionné les crimes de Varlam et qu’ils ont en profité, sans le moindre repentir. Abel sous ses dehors de respectabilité est un salaud qui ne croit à rien d’autre que ses intérêts.  Il mélange sans conflit idéologique sa position de communiste et la croix qu’il porte autour de son cou.

Torinike se suicide face à l’hypocrisie et à la basse de son père Abel, à la passivité complice de sa mère, faute d’avoir pu élaborer une attitude conforme à ses valeurs.  

En opposition, Ketevan va jusqu’au bout de sa vengeance tardive, avec un flegme qui montre qu’elle n’a peur de rien, pas même de la Justice, besogneuse et passablement ridicule.

 Quant à Abel il est confronté au suicide de son fils qu’il avait essayé en vain de faire taire, face à la vérité qui s’est fait jour, il précipite le corps de son père du haut d’une colline, à la merci des corbeaux. Il faudrait être crédule pour voir dans ce geste de rage l’ébauche d’un repentir. C’est l’infamie qu’il a nourrie  qu’il rejette, loin de lui.

Ce film est l’histoire d’une vengeance réussie, d’un sentiment de culpabilité non assumée par un innocent et rejeté par un coupable.

Varlam Aravdize a la moustache en brosse d’Adolphe Hitler, le visage arrondi et la chemine brune de Bénito Mussolini, les lunettes noires de Beria, qui a été un comparse de Staline.

Le film montre l’extrême perversité du tyran. L’ambiance dans le pays permettait l’éclosion de ce genre d’individus. Il manie le charme doucereux et la menace souriante. Il démontre, comme par diversion, ses qualités de chanteur d’opéra face à Sandro, sa jeune femme et la petite Ketevan, affublé de ses deux comparses préférés, avant de réciter impeccablement le verset 66 de William Shakespeare. Varlam connaît le bien et réalise le mal. L’énonciation des sentences du poète par ce personnage est un grand moment du film.

« Las de tout, j’aspire au repos de la mort  

« Las de voir la vertu vivre déguenillée

« la nullité drapée dans des draps d’or

« la foi la plus pure honteusement violée

«  les places d’honneur honteusement occupées

«  la vierge prostituée au désir brutal

« le plus grand mérite honteusement honni

«  l’âme forte tuée par un décret boiteux

« l’art bâillonné par le pouvoir

« la bêtise, sous les habits de doctes, régentant le génie

«  le loyal et le vrai nommés « simplicité » «  et le bon captif du capitaine Ignominie.

Notre tyran est également amateur d’aphorismes :

« Parfois refuser la réalité permet d’accéder à une réalité plus belle. Le peuple a besoin d’une réalité sublimée. »

Considérant ses deux fidèles lieutenants : « J’aimerais savoir ce qui se passe dans leurs cerveaux » « La modestie embellit l’homme. »

Et comme une sentence : « L’heure des épreuves va bientôt sonner pour vous et pour moi. »

Le film rend superbement compte de l’esprit russe, après d’autres œuvres, comme Les Frères Karamazov. Le repenti a obtenu le prix spécial du jury au Festival de Cannes de 1987. Cette récompense n’était pas usurpée !

Ce film ouvre la réflexion à de nombreuses et grandes questions, à examiner en groupe de parole… :

  • les statuts respectifs du ressentiment et de la vengeance
  • les bons et mauvais usages des sentiments de honte et de culpabilité
  • la nécessité d’une élaboration critique et distanciée
  • la loi du silence dans les sociétés
  • la lâcheté ordinaire de ceux qui ne voient que ce qu’ils ont besoin de voir
  • le rôle et l’avenir des hommes et des femmes justes
  • l’intelligence comme alliée de la perversion
  • les formes de l’universelle bêtise,
  • les impostures
  • les mécanismes générant la soumission,
  • Comment et pourquoi les dictatures se mettent en place
  • Les formes de dictatures
  • l’usage de la culture et l’absence de statut éthique de celle-ci - La religion comme force de liberté et comme force de soumission - la force éclairante de la poésie.

Le film peut se voir comme le rêve de Ketevan, enfant. Les policiers de ce régime de terreur apparaissent sous la forme de chevaliers de l’apocalypse moyenâgeux. Ce film est peut-être un rêve.