Anthony Samrani
Vu du Liban
La fin d’un pays
La fin d’un monde ?
Tracts Gallimard
3€90 n°62
Samrani est un journaliste libanais et son tract exprime avant tout la désespérance. Son pays est en morceaux. « Le Hezbollah le dévore de l’intérieur et Israël le détruit de l’extérieur. » Le 27 septembre 2024, le chef chiite du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a été tué. Rien n’est réglé, pour autant, bien évidemment.
« Nous sommes cernés par des monstres, à la fois bourreaux et victimes, qui se nourrissent les uns des autres depuis des décennies » (p5).
« Israël gagne et n’a aucune raison de s’arrêter. Le Hezbollah joue sa survie. Et l’Iran la survie de son principal bras armé contre l’Etat hébreu. » (p6)
« Il n’y a pas de Président, le gouvernement est démissionnaire… La moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. La jeunesse a quitté le pays. Les réfugiés syriens ou palestiniens comptent pour un quart ou un tiers de la population. Les déposants ont perdu toutes leurs économies au point que certains d’entre eux ont fini par braquer leur propre banque. Le port de Beyrouth a explosé. (p8)
« À partir de l’instant où Hassan Nasrallah a ouvert ce qu’il appellera plus tard un « front de soutien » à Gaza, nous nous sommes trouvés pris au piège entre le marteau du Hezbollah et l’enclume israélienne. (p9)
Pendant des années, le Hezbollah a eu « la tête ailleurs ». Le Hezbollah n’a pas empêché de mener une nouvelle guerre au Liban. Il l’a, au contraire, poussé à la faire. Il n’a pas défendu le pays, il l’a mis en danger. Il n’a pas protégé sa communauté, il lui a fait tout perdre » (p10).
Pour l’auteur, le Hezbollah est, à la fois, une milice inféodée à l’Iran, une organisation sociale, un parti, une mafia internationale, une armée régionale !
Il poursuit : « C’est en Syrie que le parti a toutefois montré son visage le plus hideux. Pour sauver Bachar-el-Assad, pour éviter que l’axe iranien perde un allié capital, le Hezbollah a tué des milliers de Syriens. Le parti de Dieu dévore le Liban de l’Intérieur. » (p13).
« La création d’Israël a été un bouleversement pour toute la région. Je ne prétends pas que le Proche-Orient aurait été un havre de paix dans le cas contraire, mais il est certain qu’elle a largement participé à la radicalisation des discours et des esprits tant des régimes autoritaires que des groupes islamistes » (p15)
Ici, intervient un passage admirable que nous pourrions faire nôtre :
« Pluriel, libéral, modulable, notre pays était un des mieux armés pour comprendre et façonner notre époque. Il avait tant à partager sur sa connaissance et sa gestion de l’altérité. Mais il s’est renié. S’est sabordé. S’est englué. Il existe encore, dès lors que l’on gratte un peu. Encore qu’il faille gratter de plus en plus en profondeur. Il reflète son époque dans son identitarisme, dans sa violence obscène, dans sa médiocrité intellectuelle, dans sa course effrénée au veau d’or. (p19)
Le souhaitable (ce que nous essayons de faire vivre, au sein de l’AREA) : « un espace de réflexion et d’ouverture, de liberté et de pluralité, de nuance et de profondeur. L’utopie est confisquée par les fondamentalismes et les prophètes de l’intelligence artificielle. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Sans règles et sans boussoles. » (p20)
« Je ne suis pas neutre. Et je ne cherche pas à l’être. Il y a un peuple qui colonise et un peuple qui est colonisé. » (p22) Pas qu’au Liban.
Pour l’auteur, « le régime iranien a largement contribué à détruire le Moyen-Orient. Il a construit un axe de la déchéance au service de sa stratégie d’influence et d’encerclement d’Israël » (p33)
Un mot clé pour comprendre la politique belliciste arabe au Moyen-Orient, celui de Nakba (équivalent de Catastrophe).
Il est interdit dans les manuels israéliens depuis 2009. Il désigne l’exode de centaines de milliers de Palestiniens, en conséquence de la guerre israélo-arabe de 1948, cet exode appelant à une revanche…
« Au fond, les Israéliens aimeraient que les Palestiniens disparaissent. Qu’ils aillent vivre en Jordanie, en Egypte ou au Liban. » (p37)
L’auteur estime en réaliste que « le Hezbollah devrait accepter sa défaite. », mais, ajoute-t-il : « Il n’a pas le droit de le dire, sous peine de passer pour un traître. (p46)
Se poserait, ensuite, la question de la reconstruction d’un pays détruit, réuni par « un projet partagé par le plus grand nombre » (p41).
Anthony Samrani n’y croit plus. La phrase finale de ce texte douloureux est « Qu’est-ce que ça veut dire fini ? Ça ne finira jamais »
Et, nous, dans notre beau pays ? Quand pourrons-nous retrouver la paix, l’harmonie et l’espoir ?