Retranscription Entretien Tuteur de Stage
Léa étudiante : Quels sont les méthodes et les outils utilisés dans votre clinique relationnelle?
HG : La méthode consiste à créer le plus rapidement possible les conditions d’un dialogue entre la personne en difficulté et le soignant. La relation s'instaure donc d'une manière tout à fait classique lors d’un entretien préalable.
Cet entretien va permettre d'écouter sa demande, de voir où elle en est de la conscience de son problème, mais aussi de ce qui correspond aux grandes lignes de son problème. En fonction de ce premier échange, il sera possible le plus souvent de passer à une seconde étape.
Cette deuxième étape est ce que j'appelle entretien d'histoire. Le recueil de l'histoire comportera une séance longue ou même deux séances. Nous devons aboutir assez vite à une vision globale suffisante de l'histoire de la personne, de son contexte, de repérer ce qui dans le passé a fait problème, de ce qui fait difficulté, au présent. En même temps, on peut essayer de voir comment il sera possible de l'aider. On peut avoir une idée de ce qu'on peut lui apporter souvent dès le premier entretien. Il y a des personnes qui ne sont pas des familiers de la lecture. Donc, nous allons essayer de les faire évoluer dans leur ouverture par rapport à ce qu'on va leur proposer. Le délai laissé entre le premier entretien et l’entretien d'histoire est de quelques jours. Les patients pourront, par exemple, consulter le site de l'association. Ils pourront disposer de quelques documents en papier. Dans un certain nombre de cas, si on perçoit une appétence à la lecture, on pourra leur proposer éventuellement un de nos ouvrages. Nous leur dessinerons aussi les grandes lignes de l'accompagnement. Nous leur parlerons de la possibilité d'une hospitalisation brève et du travail de groupe. D'une manière générale, nous essaierons de répondre aussi à leurs questions. Ces nécessités signifient que ce premier entretien est un entretien long. Même s'il comporte un élément motivationnel comme moteur, il ne peut pas se faire en quelques minutes.
Nous sommes ainsi, d’emblée, en décalage par rapport à l'offre de soins traditionnelle. La notion d'entretien motivationnel était annexée à quelques minutes de l’ordre de sept ou dix minutes, tel était le temps préconisé. Pour moi sept minutes en alcoologie, c'est à peine le temps de l'installation de la consultation, de l’amorce du dialogue. Voici donc un élément de désaccord qui annonce que le temps et la disponibilité ne sont pas payés à hauteur du nécessaire. Deuxième élément de désaccord, quant à la prise en cause du temps et des capacités mobilisées, l'entretien d'histoire va prendre une heure, qui peut être répétée quand c’est justifié. Le résultat de l’entretien doit être relu, retravaillé par le soignant afin de donner lieu à une relecture par le patient. L’entretien d'histoire achevé est envoyé par messagerie au patient qui peut corriger, compléter, de manière à ce que ce soit une mémoire partagée de qualité satisfaisante. Le travail de mise par écrit se complète d’une synthèse par le soignant. Il ne nous empêchera pas après au cours des consultations ultérieures de préciser ou de nuancer tel ou tel élément. Donc il y a un travail d'écriture qui doit être mené assez régulièrement parce que vu le nombre de patients, ce document écrit sera essentiel à consulter pour bien comprendre tout ce qui fait ou a fait problème chez la personne. Il faut avoir à l’esprit que chaque patient est un monde, avec du visible et de l’invisible. Voilà pour le deuxième temps. Nous mesurons combien cette approche entre en contradiction avec le niveau de rétribution du travail. La conscience professionnelle ne permet pas de bâcler, or c’est ce qui nous est implicitement demandé.
Un certain nombre de patients ne vont pas aller plus loin parce qu'ils sont encore dans une période de relation à l'alcool où persistent des plages de liberté, de gestion contrôlée possible et ils ne vont pas vouloir aller plus loin. D'autres vont au contraire être tellement prêts qu’ils n’auront pas besoin d'hospitalisation, même brève. En fait, nous recevons toutes sortes de patients.
Il y a, bien sûr, des impératifs à prendre en compte. Le statut addictif du sujet est l’un d’eux. Il est évident que plus le sujet a d'addictions actives, plus l'aide devra être réfléchie. Celui qui a plusieurs addictions actives va poser des problèmes plus compliqués que celui qui a un problème d'alcool et, accessoirement, je dirais un problème de tabagisme. Le mésusage et la dépendance au cannabis sont des associations devenues banales que l’on aurait tort de banaliser. Indépendamment aussi de ses addictions, des histoires traumatiques, il faut penser à maintenant préciser la relation au numérique. Il y a des profils psychologiques qui vont dans le sein de l'isolement par l’effet des additions virtuelles. L’existence de difficultés psychopathologiques et de co-morbidités psychiatriques ne peut être ignorée.
Bref, c'est un tout un ensemble qu’il nous faut découvrir, pour situer une personne dans sa complexité, dans son environnement et dans son histoire. Cela prend du temps, beaucoup de temps, du savoir-faire et du savoir-être.
Une des étapes dans la méthode mise au point est cette hospitalisation courte qui a été réfléchie et systématisée pour le vocable d’HBA (hospitalisation brève en alcoologie). Il existe un livre et des documents transmissibles à ce sujet. Au départ, la position que nous avons eue, a été de donner des chances à des gens qui sont plus ou moins insérés dans la société et, notamment, des personnes qui travaillent, qui ont des charges de famille et donc qui ne peuvent pas dégager beaucoup de temps pour eux. Donc, ce ne sont pas des gens qui sont marginalisés. Ils sont en menace de marginalisation et d’effondrement. C'est la raison pour laquelle on essaie de ne proposer que 5 jours. Nous avons toujours eu aussi le souci de dépsychiatriser au maximum les gens, non pas parce que nous sommes fixés sur l'addiction, mais parce que nous pensons que la majorité de la population a des difficultés émotionnelles, relationnelles, psychologiques, des traumas et même correspond à des profils de personnalités problématiques. Il n’est pas possible de commencer à trier les gens sur de tels critères de comorbidité. Il est évident qu’il existe des cas limites de comorbidité où c’est la comorbidité psychiatrique qui l’emporte très très loin. Je crois que c'est raisonnable de ne pas proposer ce genre de prise en charge à ces patients, mais dans la plupart des cas, il faut rester relativement ouvert. En fait il y a une attente de notre part c'est que la personne s'approprie le projet. Nous ne visons pas une relation de donneur-receveur. Nous allons essayer de poser les bases d'une relation égalitaire avec des échanges réciproques. En conséquence, il n’est pas raisonnable de trier, disons de manière négative, en tout cas excessive. La sélection, si j’ose, dire s’opère d’elle-même, par le fait des patients fermés à toute élaboration mentale.
Partant de là, l'hospitalisation brève, telle qu'elle a été conçue, apporte quand même des éléments motivationnels supplémentaires, des éléments de compréhension de la problématique. Pour notre part, nous avons toujours mis l'accent sur l'intérêt que la personne comprenne ce qui lui arrive, la complexité de sa problématique alcoolique. C'est une façon intéressante aussi d'enlever de la honte et de la culpabilité, d'expliquer pourquoi elle a développé une problématique alcoolique comme d'autres développements, une problématique psychosomatique ou même somatique. Il n’y a pas de jugement à formuler. Il y a des éléments sociétaux qui nous interdisent bien sûr de porter des jugements sur une personne. Il y a 50 ans, l'offre en termes de produits et comportements addictifs était X fois plus réduite que maintenant. Plus vous augmentez l'offre addictive et plus vous recrutez des personnes, c’est une loi générale, d’autant que l’idéologie consumériste n’a fait que se renforcer.
Donc, l'accent va être mis sur la relation, l'autre, l'entraide et là nous nous retrouvons aux origines du mouvement alcoologique. Il y a eu un moment ouvrier, il y a eu un mouvement alcoologique qui s'est fait à partir des gens qui subissent une situation critique. Un mouvement de solidarité et de soutien mutuel a pu se faire, à partir de personnes alcoolodépendantes. Elles se sont organisées. Elles ont réfléchi. Elles ont même rédigé un programme de rétablissement. Je fais allusion bien sûr aux Alcooliques Anonymes. Ce mouvement nous a donné une clé pour aider ces personnes, qui est la clé de l'entraide puisque par ce phénomène de mise en miroir, il y a possibilité pour ces patients de progresser sans aucune honte et de retrouver une parole vraie et non pas un discours d'emprunt ou un discours de défense. Partant de cette alliance, une autre aventure peut commencer.
Il y a une grande particularité à l’addiction alcoolique, elle se satisfait d’un produit légal. Il est présent partout et il est vécu culturellement comme un critère d'intégration, indépendamment même de ses effets. La personne qui a cette alcoolodépendance doit écarter l'alcool - parce que de manière expérimentale elle n'est pas capable de boire de manière mesurée banale. Elle va, de ce fait, se distinguer des autres. Pour cette raison, réfléchir et élaborer mentalement est essentiel. Elle aura besoin de rester au contact de semblables, de semblables différents comme on dit, et pour continuer à élaborer tout en utilisant cette identité partielle qui va les relier à ceux qui partagent cette condition. Il va de soi que les soignants ont leur rôle pour favoriser les bases de cette élaboration.
Léa étudiante : Alors par rapport au cinéma comme langage de soin, je me posais la question de quel travail ça peut entrainer, quel travail d’élaboration ? En quoi ça peut aider justement les patients ?
HG : Le travail qui se fait en atelier cinéma est accessible à n'importe quel spectateur. Dans l’atelier cinéma que nous proposons en alcoologie, nous sommes d'abord attentifs à la sélection des films c'est-à-dire dans le choix des films retenus.
Au cours des hospitalisations brèves, il y a toujours un film qui va permettre un débat approfondi avec l'aide d'un psychothérapeute, un psychologue sous l'angle des addictions, mais ce film n'aura pas de connotation ni morbide ni superficielle. Il n'y a pas beaucoup de films qui permettent une discussion critique intéressante.
Le deuxième type de film que l'on propose correspond à des films qui donnent une ouverture sociale, familiale ou culturelle. Nous allons nous employer à élargir l'horizon parce qu'en fait l’atelier cinéma consiste à essayer d’élargir le diaphragme. Au départ, il y a la main et le verre. L’individu singulier qu’est le sujet dépendant de l’alcool va pouvoir se situer dans le collectif, au sein de sa famille, au sein de la société et réfléchir aux interactions entre la famille, la société et lui-même. L’atelier-cinéma ouvre à toute une série de films et qui sont choisis en fonction du profil psychosocial, identitaire, professionnel en fonction des gens qui sont accueillis. Le troisième film sera plus symbolique, dans la mesure où il illustre un changement de trajectoire à partir de ce que peut entreprendre ou décider l’intéressé.
Lors de l’atelier-cinéma lui-même, le film est d’abord un objet culturel. Il n’a rien de neutre. Chaque participant peut l'apprécier à titre personnel comme dans n'importe quelle séance de cinéma. Après, il est demandé de faire un effort de réflexion analogique, pour transposer un certain nombre d’éléments du film à un certain nombre d'éléments que l'on peut retrouver dans la lecture de la problématique alcoolique er dans sa propre vie. Il y a un dernier point qu'il est utile de voir, de réfléchir et de discuter, c'est en quoi et comment ce film, à sa date de réalisation, met en valeur de l'idéologie du moment, du pays. Un film coûte beaucoup d’argent et il est intéressant de se demander quelle est la liberté dont disposent le réalisateur et le scénariste, y compris sur le plan purement conceptuel, pour élaborer le film. Nous essayons d'éveiller le participant à l'esprit critique, de l’aider à développer un regard critique distancié sur ce qu'il découvre. En fait, c'est une manière de travailler sur la dimension émotionnelle, on nous parle souvent de la difficulté des patients à gérer leurs émotions, et une manière de gérer l'émotion c'est aussi d’y mettre du recul, de la réflexion, de la culture. Cet outil, à mon sens, peut être utilisé dans n’importe quelle structure de soins, qu'elle soit résidentielle ou ambulatoire, c’est pour ça que j'en parle beaucoup aux étudiants parce qu'ils peuvent faire un travail très intéressant à partir de ce médiateur de parole. Pour moi, c’est un moyen très supérieur aux ateliers photographiques qui ont pu être proposés comme supports projectifs. Je leur préfère, dans notre expérience artisanale, l'atelier tarot, où la projection subjective intervient à partir des cartes choisies. Le cinéma est un produit culturel donc il est logique que les patients prennent de la distance et voient leurs comportements et leurs convictions sous un angle culturel : Pourquoi est-ce que j'accorde de l'importance à boire dès que je rencontre quelqu'un ? Est-ce que c'est vraiment un paramètre obligé pour dialoguer avec lui, par exemple ? Pourquoi pas une tasse de café ?
Léa étudiante : Je me posais la question des groupes de parole, si vous pouviez me donner un peu plus de précision sur ce que ça entraîne chez les sujets et peut-être parler de la différence entre le groupe du lundi et du vendredi ? Quel type de travail ça peut permettre ?
HG : Le groupe du vendredi est un groupe qui a été conçu en le déduisant du groupe de parole des Alcooliques Anonymes où se sont rapprochés les gens en démarche d'abstinence et les gens déjà abstinents.
C’est un groupe qui gère le « sans alcool » avec tout ce qui se rattache : l’ambivalence, le clivage, le soin de parler à distance de la honte et de la culpabilité, le besoin de s’entraîner à la prise de parole. Nous distinguons la période alcool, quand le sujet boit et qu’il n'est pas véritablement en démarche de soins, la période sans alcool où il essaie de ne pas boire et y parvient, parfois durablement, mais il est quand même dans cette culture ou, pour lui, la plupart des éléments qui comptent, qu’ils soient relationnels, émotionnels ou autres suscitent le réflexe-alcool, le besoin d'alcool, la nostalgie d'alcool ou l’envie d’alcool. Tant qu’on en est là, je pense qu’ on a des difficultés d'élaborer autre chose. Donc c'est un groupe qui gère le deuil, qui permet le deuil de l'alcool, et qui gère cette période.
Le groupe que j'appelle intégratif demande un soignant relativement polyvalent. IL a d'autres objectifs et il utilise une pluralité de grilles de lecture possibles à travers les thèmes qui sont choisis. On peut donc par le biais du groupe de parole réintroduire les éléments qui caractérisaient un moment l'alcoologie clinique et qui du fait de l'évolution de la médecine et sous l'action des neurosciences et de la culture comportementaliste, les a évacués. On peut avoir des sujets d'inspiration psychopathologique, psychologique, familiale et systémique, et d’autres, proprement culturels, qui peuvent introduire des éléments philosophiques, voire spirituels. Tous ces éléments vont essayer d'accentuer le recul par rapport à ce dont on parle et donc à aiguiser l'esprit critique. Ce qui est aussi une manière de favoriser le détachement émotionnel et de restituer une forme d'autonomie mentale et émotionnelle aux participants. C'est un groupe d'élaboration mentale avant tout.
Je dirais que ce groupe c'est vraiment le groupe du soignant parce que le soignant devient alcoologue par la pratique active de ce groupe, par le choix des thèmes, par la nécessité qu'il a de reformuler après chaque intervention. Il va lui-même réfléchir pour lui à ce qu'il met sur la table et donc il va évoluer. Donc il y a une évolution du soignant au fil des réunions et du temps disponible. Il devient plus compatible en se diversifiant dans ses approches face à la diversité des patients. En fait le groupe intégratif a des fonctions multiples puisque c'est lui qui, véritablement, complète et donne sens aux efforts de lecture et de connaissances qu’il peut développer ailleurs. C'est ce groupe qui va fabriquer l'alcoologue, c'est lui qui va fabriquer les aidants c'est-à-dire les personnes qui vont apporter leur témoignage, leur regard, leur soutien au nouveau venu. C'est lui qui va permettre aussi aux patients qui ont des goûts d'organisation de participer à la vie de l'association donc il y aura des aidants d'intervention, des aidants d'organisation, il y aura des soignants et des étudiants qui pourront évoluer en partageant la même culture. Sachant que cette culture n'est pas figée, qu’elle est mouvante. Elle se diversifie en permanence en fonction des nouveaux venus, en faisant intervenir l'évolution de la société.
Donc c'est un outil très vivant, très souple et pour moi absolument essentiel et qui, en l’état, est totalement ignoré de l’alcoologie, de l’addictologie officielle simplement parce que les soignants ont une erreur de positionnement, disons très regrettable. Ils disposent de connaissances scientifiques, médicales ou psychologiques, sanctionnées par des diplômes. Ils sont conduits à penser qu’ils sont plus égaux que les autres participants. Et en fait non, je crois qu’une des règles à intégrer, quand un soignant aborde le travail de groupe, c'est d'oublier ce qu'il sait. Après Socrate, il doit intégrer la notion “qu'il ne sait rien”, cette position d’humilité et d’ouverture lui évite beaucoup d’erreurs. Cela lui apprend à écouter l'autre en fonction de son propre monde intérieur donc il doit travailler en permanence son monde intérieur pour être en connexion avec le monde intérieur des différents participants. Il est évident que ces participants sont plus ou moins ouverts, plus ou moins coopérants, il y a des participants qui restent dans le déni, dans un parler standardisé. Ils ont du mal à mettre en mots ce qu'ils pensent, ou qui le font maladroitement. Le groupe de parole est une forme d'entraînement permanent à la relation et c'est une école du respect de l'autre. Il constitue un lieu vraiment à privilégier, je trouve. J'avais l'habitude de dire, quand j’étais gastro-entérologue que c'était l'équivalent du bloc opératoire pour le chirurgien : Tu n'imagines pas un chirurgien sans bloc opératoire, moi je n'imagine pas un alcoolo-clinicien sans groupe de parole intégratif.
Léa étudiante : Et quand vous parlez de groupe intégratif, que voulez-vous dire par là ? Est-ce que c'est par la diversité des pratiques que vous y accordez ce sens ?
HG : Je donne au mot intégratif, un sens polyphonique. Il permet d'intégrer le soignant qui a un autre savoir, d'intégrer chaque patient à partir de ses caractéristiques propres. Il est intégratif dans la mesure où il donne les bases à une forme d'alliance thérapeutique, il est intégratif aussi dans la société, puisque ce groupe va permettre à une association de se constituer et l'association pourra proposer des actions pédagogiques extérieures, et des produits pédagogiques. Elle sera de ce fait intégrée à la société. Comme dans certains produits ménagers, il est bon pour tout.
Léa étudiante : Donc comment les groupes de parole permettent-ils de prévenir la rechute ?
HG : Le groupe intégratif permet de conforter le sujet dans la sobriété par le fait qu'il sait que d'autres sont dans une démarche similaire. C'est toujours plus facile de marcher seul si on sait que d'autres marchent de la même manière ou d'autres connaissent les mêmes difficultés et les affrontent. Ensuite, dans les moments de fragilité, il est bien agréable de pouvoir rencontrer des gens sans qu'il y ait des jugements ou critiques. Je crois que la meilleure parade au retour de l'addiction qui est un phénomène comportemental, mais également inconscient, c'est d'élaborer mentalement. Celui qui continue à élaborer mentalement reste plus facilement en équilibre.
La prévention des rechutes, c'est compliqué, le sujet peut être devenu indifférent à l'alcool, il peut avoir clarifié l'origine de ce qu'il a amené à boire, mais malgré tout il garde une certaine fragilité. C'est un peu comme dans un drap quand vous avez un pli, vous le repassez, mais on voit quand même un peu le pli. Donc, une baisse de vigilance, le retour de traumatismes sous la forme de difficultés similaires, des événements de vie affectifs ou professionnels peuvent recréer une situation compliquée. La vie n'est pas tendre pour la plupart des humains. Donc effectivement, là où quelqu'un ferait une dépression, lui, sa défense régressive sera de prendre de l'alcool. Il faut qu'il le sache et si, malgré tout, il retrouve son addiction, il faut l’aider à sortir de la répétition ou d'un désir d'autodestruction. Il y a une composante de pulsion de mort, d'autodestruction en lien avec l'alcool. Lui aussi, il est bon pour tout : le groupe est bon pour tout et l'alcool est bon pour tout.
Léa étudiante : Concernant les aidants, quel est leur rôle ?
HG : L’aidant doit être toujours quelqu'un qui tire un bénéfice de sa fonction. Un aidant qui ne s’aiderait pas doit cesser, de mon point de vue, d'être aidant. La dimension altruiste est une qualité qui permet à mon avis de poursuivre son chemin. Dans cette problématique celui qui sait s’ouvrir aux autres est gagnant. De manière schématique nous distinguons les aidants d’organisation, qui sont insérés dans la vie, avec des compétences utiles. Ils vont permettre d'organiser les choses, constituer des dossiers de subventions, veiller aux adhésions, s'occuper des aspects techniques lors des réunions extérieures, etc. Il y a les aidants d'intervention qui sont des personnes qui continuent à élaborer au contact des nouveaux. Donc, dans un groupe il y a des aidants qui continuent à réfléchir à élaborer et qui permettent aux autres de s’y mettre aussi. Le groupe réalise un principe : celui de transformer ce qui a été un handicap en avantage. C’est possiblement une école d'humilité, une école d’éthique.
Léa étudiante : Quel est votre rôle durant les hospitalisations brèves, quelle posture adoptez-vous?
HG : Pour moi l'hospitalisation brève c'est une manière, un moyen que je me donne pour conforter le lien avec chaque patient et pour le relier aussi au dispositif associatif, par le biais des aidants justement. J’essaie ainsi de lui faire comprendre que c'est intéressant pour lui de continuer à réfléchir, de ne pas s'isoler. Je crois possible, par les interactions qui se produisent pendant l'hospitalisation et qui sont parfaitement aléatoires, il peut advenir des prises de conscience et des progrès en matière de motivation. C'est un peu comme un match, il y a des règles du jeu, des éléments de jeu et, parfois, des faits de jeu qui devront être plus ou moins arbitrés. L’HBA est un moment relationnel privilégié. Pour le soignant, perdu, bousculé dans ses contraintes quotidiennes, c'est un moment où il va pouvoir dégager du temps et de la tranquillité pour ces patients-là. Pour apprendre à les connaître un peu mieux, pour améliorer la relation intérieure malgré les difficultés qui vont survenir quel que soit le devenir du parcours, quel que soit le devenir du patient. Quelquefois d'ailleurs, des gens qui ont fait une HBA peuvent revenir facilement s'ils ont une difficulté, 5 ans ou 10 ans après. C’est pour la question de la relation à renouer si besoin que la notion d’accompagnement est essentielle. Il faut qu'il y ait une pérennité du cadre, et une pérennité de l’état d'esprit, donc une tradition, une culture partagée, associant la continuité et le renouvèlement.
Léa étudiante : Et quel est le rôle des hospitalisations pour les patients, qu’est-ce que ça peut leur apporter ?
HG : Au 1er degré, pour certains, c'est l'occasion de ne plus boire alors qu'ils buvaient depuis des semaines, des mois, des années, sachant que le sevrage est assez rarement une grosse difficulté quand ils sont bien entourés. Le patient évacue une grande partie de la honte, une partie des idées reçues qu'il avait intégrées sur l'alcoolisme, il voit les choses autrement, il peut identifier des outils pour l’après HBA. Il n’est pas livré à lui-même, contrairement à ce qu’il pouvait croire avant. Il va découvrir que le changement de trajectoire de vie est une question surtout de durée et d'organisation. Je crois que ça leur apporte énormément. En fait, après ce moment privilégié, ils ne seront plus jamais comme avant. Cette fois, ils sauront alors qu’avant ils pouvaient l’ignorer, et ils auront plus de possibilités pour agir et se déterminer, y compris sur des choix de vie qui leur sont propres.
Léa étudiante : Quelle serait la spécificité de l’AREA comparé à d’autres structures d’accompagnement ?
La spécificité de l’AREA repose avant tout sur le principe de l'alliance entre soignant et aidant, sur une méthode qui est la plus légère possible pour ne pas impacter la vie des personnes. L’originalité fait intervenir le groupe intégratif « épicentre du dispositif ». L’AREA propose une attitude culturelle ouverte. C'est-à-dire le groupe intégratif, suppose un soignant et une équipe qui font vivre une forme de curiosité intellectuelle. Ils sont, en fait, des élèves permanents. L’équipe d'alcoologie est une équipe où chacun ne cesse pas d'apprendre. Nous faisons vivre un collectif, il y a des gens qui lisent, qui font des résumés de livre, il faut du temps pour ça, pour que des patients se risquent à faire ça et d'autres qui voient des films, qui en font des résumés. Le groupe est un intellectuel collectif. Cette notion abstraite est très porteuse de sens. Il est constitué d'intellectuels, d’intellectuels organiques. Ce sont des gens très simples socialement, ils ont une fonction d'intellectuels c'est-à-dire qu'ils sont porteurs et créateurs d'une culture, rattachée à l’alcoologie. Il s’efforce de trouver des réponses à des aspects très profonds de la souffrance humaine et des questions existentielles : qui je suis où je vais, etc. Une des caractéristiques de l’AREA est de refuser de prendre les gens pour des imbéciles et de se dire que chacun a des ressources. Derrière la pseudo identité d’alcoolique, ils ont des ressources, une sensibilité, une histoire, ils ont des choses à proposer. Il faut simplement, au lieu de stériliser leurs potentialités soit par l'addiction soit par des discours convenus, leur permettre de s'apercevoir qu’ils sont intelligents et contributifs.
Léa étudiante : Et si vous aviez un élément à nous transmettre, un élément de transmission ou un conseil à nous transmettre en tant qu'étudiant, ce serait lequel ?
HG : C’est celui d’oser, celui d’oser à faire un soin intelligent, un soin qui vous ressemble, un soin qui tienne compte des caractéristiques de cette problématique addictive qui en fait est un reflet à peine déformé de la réalité humaine. Savoir que vous pouvez être très utile à pas mal de gens en devenant vous-même. Ce possible ne se déduit pas des connaissances acquises. C’est en évoluant soi-même qu'on aide les gens à évoluer. Vous pouvez faire vivre une conception psychodynamique et interactive du soin.
Léa étudiante : Bon je crois qu'on a fini.
HG : Il ne reste plus qu’à vous souhaiter bon courage !