Réalisation et scénario : Mohammad Rasoulof
Date : 2024 Iran
Durée : 2h50 mn
Acteurs principaux :
Missagh Zareh : Iman, le père
Soleilha Golestani : Najmet, la mère
Setareh Maleki : Rezvan, fille aînée
Mahsa Rostzmi : Sana, la fille cadette
SA
Mots-clés :
Théocratie – Dictature– Machisme - Révolte – Générations – Tristesse - Accablement
Un film sans concession de l’Iranien Mohammad Rasoulof. Il a le mérite de la clarté. Rasoulof a fait de la prison et on peut s’étonner qu’il soit encore en vie au pays des Ayatollahs.
Les jeunes filles et les jeunes gens qui défilent à Téhéran contre le port du voile sont maltraités, mutilés par les « forces de l’ordre ». Les tribunaux prononcent des peines de mort, sans procès, contre des jeunes gens qui manifestent leur révolte face à la théocratie, autre nom pour la dictature des Imams.
Iman est un fonctionnaire de police, docile, pieux, carriériste comme ses collègues, incapable de se servir un verre d’eau quand il est de retour chez lui. Sa femme est là pour ça. Il n’a pas le temps de se réjouir de sa promotion d’enquêteur. La première affaire qui lui est confiée consiste à valider une condamnation à mort à l’encontre d’un jeune. Sa conscience a tôt fait d’être apaisée : son collègue et ami, qui lui a valu son poste convoité, lui explique que c’est le procureur qui a pris la décision d’injustice. Il n’a rien à se reprocher. Il ne fait qu’obéir.
Najmet, sa femme, « tient la boutique ». Les filles ont grandi, elles ont besoin d’avoir chacune leur chambre et elle-même en a assez de s’abîmer les mains, en attendant le lave-vaisselle. Elle est d’une soumission exemplaire à son époux. Elle veille à son confort domestique. Elle se fait le porte-parole du père et des imams auprès des filles. Elles doivent expressément éviter de se confondre avec les autres jeunes gens. Rezvan, la grande, est à l’université et Sana est au collège. Les téléphones portables filment les affrontements et propagent les images. La seule amie de Rezvan est molestée au point d’en perdre un œil. Nous avons connu ça au temps des Gilets jaunes. Rezvan triomphe du refus initial de sa mère d’accueillir son amie, le temps de la soigner. Scène poignante, où Najmet enlève les plombs incrustés dans la peau du visage ensanglanté de la jeune fille. L’obsession de Najmet, c’est la réputation et la promotion de son mari. L’obsession de son mari est de ne pas se faire repérer par les opposants qui s’appliquent à identifier les policiers-bourreaux. À ses filles et notamment à Rezvan qui s’indigne de la maltraitance policière, il ne sait que répéter que c’est contraire à la religion que de vouloir se promener nue dans la rue. Les opposants ne sont que des traîtres à un régime légitimisé par Dieu.
La nouvelle fonction d’Iman lui a valu un gros pistolet. Et voilà que ce pistolet disparaît dans son appartement ! S’il ne le retrouve pas, sa carrière est fichue. Les soupçons se portent sur les filles, sur la plus grande, qui proteste avec véhémence. Elle ne savait même pas que son père avait une arme. Les oppositions éclatent un soir où la mère tente, via un repas, un dialogue entre le père et ses filles dans le but que la coupable rende le pistolet. La soirée tourne court. Les fouilles des chambres ne donnent rien.
La situation se dégrade de plus en plus. Le père décide de suivre les conseils de son copain. Il accepte de soumettre ses filles et sa femme à un interrogatoire policier au prétexte d’une séance de psychothérapie, qui s’effectue les yeux bandés pour ne pas identifier l’enquêteur ! Il va encore plus loin en proposant à sa famille de passer quelques jours dans sa maison natale, située près de Kandovan, célèbre par ses habitats troglodytes désaffectés. En y allant, il tente de mettre sur le bas-côté de la route une voiture qui le suit, conduite par des opposants qui le filment, lui crient leur colère et lui promettent des jours sombres. Contre toute attente, Sana montre le pistolet à sa sœur dans la voiture. C’est elle qui l’avait dissimulée mais le secret est gardé. Tout le monde est à cran. Laissant les velléités de rapprochement, Imam soumet sa famille à un détecteur de mensonges.
Les trois femmes sont assimilées à des suspects qui doivent passer aux aveux, jusqu’à être enfermées séparément dans le noir de cellules improvisées. Je ne vous dirai pas la fin.
Théocratie et machisme criminel
Chacun voit midi à sa porte, dit un proverbe : nous portons habituellement un regard auto-justificatif et habituellement borné sur les choses.
Je me suis étonné de découvrir ce film dans la plus grande des salles d’Utopia – Tournefeuille, chaque place et tous les strapontins occupés, alors que ce film est à l’affiche depuis 3 semaines. J’ai regardé les spectateurs : beaucoup de personnes retraitées, très peu de jeunes, quelques âges intermédiaires, aucun spectateur susceptible d’être concerné, au premier chef, par son apparentement religieux présumé. Le financement du film est essentiellement français. La Commission européenne n’a pas apporté de contribution identifiable. J’en ai conclu que ce film iranien était d’abord destiné à un public franco-français.
Le dernier film que j’avais vu à Utopia était Oppenheimer. J’ai été frappé par l’évolution de l’ambiance, avec la présentation très militante de plusieurs films, avec le concours de la réalisatrice ou du réalisateur, avant la projection du film. Apparemment, « Les graines du figuier sauvage » n’ont pas donné lieu à un débat. Raison de plus pour y réfléchir.
Compte-tenu du public visiblement en accord avec le discours intellectuel dominant à gauche – donnant une impression « d’entre soi » -, je me suis demandé les raisons de son enthousiasme pour ce film, même si je n’ai pas, cette fois, relevé d’applaudissements.
Comment, par exemple, pouvaient-ils, en agnostiques tolérants, en athées convaincus ou en chrétiens repentants, ne pas faire de rapprochement entre la théocratie islamique en Iran et les agissements des islamistes en France ? Nous avons obtenu, de haute lutte, au début du XXème siècle, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la dissociation de l’intérêt général des spécificités spirituelles. Faut-il admettre une remise en cause de ce facteur essentiel de paix sociale ?
Comment peuvent-ils vibrer de colère contre ces « salauds » d’Imans et de leur appareil répressif qui maltraitent la belle jeunesse, hostile aux attributs vestimentaires publics des filles et des femmes musulmanes, alors qu’ils approuvent ces tenues dans l’espace public ?
Comment peuvent-ils concilier leur rejet – que n’importe quel citoyen standard partage, de l’inégalité de statut hommes – femmes, alors que visiblement la religion en cours en Iran impose la soumission et le silence aux femmes, y compris face à des situations iniques ?
Comment peuvent-ils suivre les propagandistes de l’antisémitisme, en France, sachant ce que nous avons laissé faire aux juifs pendant l’Occupation ? Quel serait le sort des juifs, si les cousins des Ayatollah prenaient le pouvoir en France ? Quel serait le sort de tous les amoureux de la liberté, de l’esprit critique, de la non-violence face à des individus qui ne croient plus aux hommes quand ils ont des revolvers et qui se donnent le droit de tuer ceux qui ne pensent pas comme eux ?
Comment, enfin, peuvent-ils accepter de voir réduire le débat public aux sujets médiatiques qu’on nous impose : des abuseurs en soutane aux abuseurs friqués, des guerres que nos gouvernements entretiennent, attisent ou cautionnent ? Comment peuvent-ils laisser l’espace médiatique encombré par les revendications des « minorités » ? Comment peuvent-ils ne pas être dérangés par le révisionnisme post-moderne, indépendamment du bien-fondé d’une lecture critique et non partisane de l’Histoire ? Comment font-ils pour négliger la mise à sac de notre indépendance, de notre justice, de nos écoles et de la Santé publique, du délitement de la société, de la censure insidieuse ou manifeste, sans parler de la mainmise liberticide des Big Data sur notre quotidien ? Avant la séance, il nous a été aimablement demandé d’éteindre nos portables. Pourquoi un portable au cinéma ?
Je ne parle même pas de la façon dont sont mal-traités les problèmes d’addictions.
Sur un plan humain, l’évolution d’Iman, aspiré par la logique de son métier de policier et de sa carrière, est catastrophique. Sa religion ne vient en rien au secours du respect de soi et de l’autre. L’amour qu’il a pour ses filles ne résiste pas à la peur du « qu’on-dira-t-on. La mère a une personnalité complexe, très plausible, tiraillée entre son « patriotisme » familial, son matérialisme de fait, sa soumission à son seigneur et maître et son amour pour ses filles. Rezvan est l’héroïne du film car elle a le courage de dire ce qui est, face à son père et à sa mère. C’est l’immaturité et l’attachement fraternel qui dominent chez Sana, plus experte dans l’usage d’Internet que dotée de discernement.
Leçons à tirer de ce film : mieux vaut parfois renoncer – à une promotion, à un enrichissement facile, à des solidarités familiales, tribales ou professionnelles, – que perdre liberté, éthique et honneur.
Un très bon film qui s’ajoute aux autres très bons films iraniens produits ces dernières années. Où leurs réalisateurs puisent-ils leur courage, leur talent et les moyens nécessaires ?