Réalisation et scénario Paul Grimault et Jacques Prévert, d'après une histoire de H.C. Andersen
Date
1980 / France
Durée 87mn
Acteurs principaux 
Jean Martin (l'Oiseau), Agnès Viala (la bergère), Renaud Marx (le ramoneur), Pascal Mazzotti (le roi Charles-cinq-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize)
AA/SA/HA  
Mots-clés Ironie – Liberté – Immaturité – Esprit critique – Entraide

Histoire

L'Oiseau, qui est le narrateur du film, nous conte son histoire. À l'époque, le Roi Charles-cinq-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize règne en tyran sur le petit royaume de Takicardie. « Il détestait tout le monde, et tout le monde le détestait. » La société est organisée verticalement : les privilégiés dans la haute ville, et les pauvres dans la basse ville. Cette brève introduction place d'emblée cette fable politique et sociale sous le signe de l'absurde, de l'ironie, et de la poésie.

            Le Roi est bigleux, arrogant, jaloux, mégalomane. Il a mis en place un culte de la personnalité : tous les décors fastueux représentent le monarque, qui vit dans un univers de faux-semblant et de méprise. Il élimine sans scrupule tous ceux qu’il n’apprécie pas. « Je veux, j'ordonne, j'exige…, j'ai dit ! » Son ton péremptoire ne souffre aucune contradiction et aucune critique. Il vit comme un reclus dans ses appartements secrets, avec son chien comme unique compagnon. Ses moments d'intimité lui offrent son seul véritable plaisir : celui de contempler le tableau de la jolie Bergère dont il est amoureux. Ses sbires serviles sont insipides, sans personnalité propre, ce qui révèle leur conformisme aveugle. Ils sont d'ailleurs aisément remplaçables. Ils n'aiment pas leur monarque, mais ils n'osent pas le critiquer pour autant.

            L'Oiseau est audacieux, insolent et provocateur envers le Roi. Ces deux personnages semblent être des ennemis de toujours. L'Oiseau représente l'affirmation de la liberté conquise, il prend le risque de se rebeller et de se moquer ouvertement du Roi. Il est à l'origine du mouvement de révolte solidaire amenant les habitants de la basse ville à détruire le royaume pour se venger du Roi. Très astucieux et généreux, il aide la Bergère et le Ramoneur à fuir la folie du Roi.

            Un des fils de l'Oiseau est différencié, d'abord par sa couleur, et puis par sa personnalité aventureuse et inconsciente des dangers. Le petit oiseau tombe dans de nombreux pièges et doit être secouru (par l'Oiseau, par le Ramoneur, puis par l'automate). Comme un enfant naïf, il est prêt à tomber dans les illusions que lui tend le monde extérieur, à se laisser happer par les artifices lui faisant croire que tous ses désirs peuvent être satisfaits sans avoir à fournir le moindre effort.

            La Bergère et le Ramoneur sont des amoureux transis. Ils font preuve d'esprit d'initiative, d'imagination et d'intrépidité. Prisonniers de leurs tableaux, ils ne peuvent que se déclarer mutuellement leur amour et leur fidélité. La statue du vieil homme résigné et sentencieux, qui se vante de son grand âge, les alerte sur l’impossibilité de concrétiser leurs projets et leur rappelle qu'ils ne sont pas fait l'un pour l'autre. N'écoutant pas les intimidations de ce vieillard pas si sage et avisé, les deux amoureux s'animent et s'échappent du monde clos et restreint dans lequel ils vivaient. Ils sont émerveillés face à la grandeur du monde extérieur, contemplant pour la première fois le ciel étoilé puis le soleil levant. L’amour qu’ils se portent mutuellement leur permet de braver les obstacles, de ne pas accepter les déterminismes, et de conserver leur enthousiasme.

            Mais le Roi continue à les poursuivre inlassablement ! Il emprisonne le Ramoneur et l'Oiseau, qui doivent alors participer aux travaux à la chaîne pour construire des statues à l'effigie du Roi. Pendant ce temps, la Bergère se résigne à être mariée de force au tyran. Fort heureusement, l'Oiseau est plein de ressources. Il libère tous ceux qui subissaient le joug du monarque et sauve la Bergère. Le Roi, du haut de son automate gigantesque, tente de supprimer son rival afin de s'approprier la jeune fille. Entre-temps, l'Oiseau prend les commandes du robot. À ce moment-là, l'automate fait preuve d'esprit et d'envie de liberté. Il se métamorphose en créature douée de conscience, aide le trio de héros et jette le Roi hors de son royaume, désormais en ruines. Son dernier acte de vie consiste à sauver le petit oiseau, encore une fois piégé dans une cage en raison de son manque de prudence.

Intérêt en alcoologie

On pourrait considérer le Roi comme l'incarnation de la pensée unique, et l'Oiseau comme l'incarnation de l'esprit critique.

                        Le Roi manifeste bons nombres de traits psychopathologiques relevant de la problématique alcoolique. Il personnifie l'immaturité, l'impulsivité et l’absence d’empathie au travers de chacune de ses actions et de ses pensées. Il utilise son pouvoir pour tuer et humilier. Il n’a pas de contacts extérieurs de qualité, il est irrémédiablement seul. Personnalité éminemment narcissique, il se sent supérieur aux autres de par son statut royal, alors qu'il est le plus déplorable des êtres humains. Cette hypertrophie du Moi reflète la toute-puissance infantile, la susceptibilité et l'intolérance à la frustration. Il vit dans le « tout, tout de suite », donc dans une immédiateté dépourvue de la moindre réflexion sur ses actions et leurs conséquences. Le Roi veut asservir son peuple et également les personnages des portraits. Il fait une fixation sur le tableau de la Bergère. Il ne cherche pas une vraie compagne mais un portrait de femme. Il ne reconnaît pas l’altérité. Tandis que le monarque vouait un amour platonique à la Bergère, son double représente une figure plus libidineuse.

            Le Roi n’accepte pas l’image de soi véritable qui lui renvoie le miroir, ni la représentation de lui dans son portrait. Il cherche à modifier cette dernière en retouchant le tableau. Or, dans une scène marquante, le Roi figuré dans le portrait tue le vrai Roi. On peut interpréter cette scène en pensant que le Moi Idéal (le portrait) supplante le Moi (le vrai Roi). Les aspirations narcissiques et les représentations idéalisées du Roi prennent le dessus. Cela peut représenter également le processus de clivage, une sorte de dédoublement de la personnalité, où la partie intolérable de soi est écartée du champ de la conscience pour ne pas avoir à ressentir de culpabilité ou d’affects dépressifs. Cette partie de soi est envoyée aux oubliettes, comme toutes les personnes qui déplaisent au Roi.

            Lorsque les personnages sortent du cadre, de leur portrait, ils sortent métaphoriquement des carcans et des règles qui les aliènent. Cette scène pose une question intéressante : qu’est-ce qui est factice, qu’est-ce qui ne l’est pas ?

           L'Oiseau représente plutôt l'insoumission aux règles absurdes établies par une société déshumanisée et déshumanisante. Animé par des valeurs et principes qui font état du bon sens, il a la hardiesse de s'opposer au Roi. Il se positionne comme la figure du résistant qui réveille le peuple endormi pour leur rendre la conscience. Il représente aussi la sincérité, la constance, et l’obstination.

            L’Oiseau se comporte comme un soignant : bienveillant, protecteur, contenant, sécurisant. Il condense la figure maternelle et la figure paternelle envers ses oisillons. Il est heureux car il sait se satisfaire des choses simples, contrairement aux riches qui accumulent les choses matérielles et ne connaissent pas le bonheur.

            L’Oiseau insuffle sa détermination aux deux amoureux. Il les prend sous son aile, littéralement et métaphoriquement. Dans un principe de réciprocité, l'Oiseau, la Bergère et le Ramoneur s'entraident. Ils savent qu'ils ne peuvent pas s'en sortir seuls, ils ont chacun besoin d'un soutien pour mener à bien leurs objectifs, louables qui plus est. Ils apportent le courage nécessaire aux habitants lésés de Takicardie pour renverser le despote et regagner leur liberté d'agir, affirmant ainsi leur liberté d'être.

            Toute personne alcoolique a besoin d’un « Oiseau » dans sa vie, à savoir d'un autre soutenant (que ce soit un proche ou bien un soignant) qui l'incite à trouver suffisamment de confiance en soi pour combattre l'emprise de l'alcool, et entreprendre une démarche de soin qui le mènera vers une vie plus satisfaisante.

            Il y a différents niveaux de lecture du film, selon qu’on le regarde quand on est enfant ou adulte. On peut voir ce film comme un voyage initiatique. En cela, il se rapproche des contes de fées dont il s’inspire d’ailleurs. Ce film présente des personnages soit bons, soit mauvais. Ils sont facilement identifiables et très expressifs. Ils peuvent représenter plusieurs facettes d’une même personnalité. Ce film traduit donc des choses intemporelles. On peut également avoir une lecture politique du film, qui décrit un monde de passivité où toutes les strates administratives sont au service d’un seul individu.

            Dans un monde où les fantasmes et les rêves prennent vie, cette histoire satirique nous invite à entretenir nos capacités de discernement, d'imagination, et notre courage pour (re)conquérir notre liberté dans un monde fonctionnant sur le mode de la pensée paresseuse.

 

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