Réalisation : Michael Cacoyannis Scénario : Michael Cacoyannis d’après le roman éponyme de Nikos Kazantzakis Date : 1964 Durée : 142 mn Acteurs principaux : Anthony Quinn (Zorba), Alan Bates (l’écrivain, « Patron »), Irène Papas (la jeune veuve), Lila Kedrova (Mme Hortense, « l’hôtesse », alias Bouboulina), Sotiris Moustakas (l’innocent du village) A/SA/HA Mots clés : Mœurs – violence – sexualité – cultures- Dérision |
Un homme jeune en pardessus, encombré de valises et de livres, sur les quais du Pirée à Athènes. Il questionne en anglais. Quelqu’un lui répond qu’il doit attendre que la tempête se calme pour prendre son bateau pour la Crète. Un peu plus tard, dans la salle de transit où les passagers sont entassés, un homme, exubérant et volubile, surgit. Zorba – c’est ainsi qu’il se nomme − est grec et sans attaches. Les deux hommes font connaissance. L’Anglais est écrivain. Il a cependant comme projet d’exploiter une mine de lignite abandonnée, héritée de son père. Zorba le convainc de le prendre à son service, car il sait tout faire. L’anglais accepte de devenir son « patron ». L’aventure peut commencer…
Cette histoire en noir et blanc a une tonalité sombre. Elle confronte un occidental sans élan ni inspiration, bien élevé, aux mœurs d’un village insulaire. L’unique lieu d’accueil est tenu par une ancienne prostituée, Mme Hortense, qui a échoué là, après avoir pris et donné du bon temps à des marins de toutes origines. Les hommes du village – quant à eux – sont obsédés par une jeune veuve en habits noirs, à la beauté tragique.. Le fils d’un de ces hommes entre dans un état second dès qu’il aperçoit la veuve au regard angoissé. Un simple d’esprit, au sourire édenté, bénéficie de la gentillesse de cette femme. Il n’a rien d’inquiétant, à la différence des autres.
Notre jeune écrivain apparaît très vite débordé par la remise en route de la mine, son attirance informulée pour la veuve au regard profond, et les initiatives de son factotum. Une pseudo idylle prend corps entre l’hôtesse décrépite et Zorba… Ce dernier la surnomme affectueusemment « Bouboulina ». Avec un tel énergumène, la vie de l’écrivain, poli, timide et raisonnable, a changé de dimension…
Retour aux moeurs barbares
En quoi cette histoire nous concerne t-elle ?
Le constraste entre les mœurs archaïques et violentes de ces villageois − hommes, d’un côté, vieilles femme habillées de noir, de l’autre – et de l’Anglais peut faire réfléchir au choc des cultures et au déclin de la civilisation occidentale. Athènes, berceau de la philosophie au Vème siècle avant notre ère, a fortement inspiré la culture européenne. Son influence, dans ses propres territoires, n’a pas survécu à son effondrement. La Crète de cette histoire abrite des mœurs barbares.
L’exacerbation refoulée des pulsions sexuelles rend compte d’une violence latente mais constante. La haine de la beauté, tant célébrée par la culture athénienne, et l’interdiction faite à une femme de disposer de son corps comme elle l’entend, explique la scène de lapidation biblique et le meurtre de la jeune veuve. Celle-ci est coupable d’avoir excité le désir des hommes, aux yeux des femmes de l’île, et de s’être donnée à un étranger, en la personne de l’écrivain, aux yeux des hommes. Se retrouve l’alliance méditerranéenne des hommes imbus de leur prérogatives sexuelles et de leurs mères, garantes de l’inégalité entre les sexes.
La religion, illustrée par les moines orthodoxes, pas plus que la Loi, n’adoucit en rien la violence des mœurs. L’exécution de la jeune femme intervient pendant l’office religieux qui conclut le suicide par noyade de l’amoureux transi. La religion n’a pas davantage d’effet sur le pillage de la maison de l’ancienne prostituée. Après tout, elle se signe à l’envers : ce n’est qu’une catholique! Les vieilles femmes du village sont les premières à organiser la curée, à la manière d’une compagnie de corbeaux, à l’affût du dernier souffle de l’agonisante Bouboulina.
Que cette histoire finisse par une danse sur la plage réunissant Zorba et son maître, après l’effondrement du dispositif de transport du minerai, conçu par l’incontrôlable serviteur, suggère que la dérision peut être une réponse aux naufrages.
L’alcool est socialement intégré. Au même titre que la musique, il peut avoir un rôle de soupape ou de levée d’inhibition, quand le quotidien est trop pénible, terne, ou lorsque survient un événement heureux. Champagne aidant, Zorba dilapide une partie de l’argent de son maître dans une folle soirée de cabaret. Rien n’a d’importance pour Zorba le compatissant, en dehors de l’alcool, des femmes et du Sirtaki, qui résument son bon plaisir.
Ce film est daté. Il ne rend plus exactement compte de la réalité vécue par les crétois. Divers régimes politiques se sont succédés et, à présent, le peuple grec connaît la dictature de Bruxelles, payant la folie d’avoir rejoint plus fortuné que lui. Sa trame concerne notre actualité d’envahis, par les plus regrettables effets de la mondialisation.
Zorba le grec, magistralement incarné par Anthony Quinn, peut faire réfléchir à l’antagonisme des moeurs, à l’effacement complaisant de la culture occidentale, à la violence, à l’alliance machiste entre les fils et les mères, au sexisme à l’encontre des femmes dans les autres pays mais aussi dans le nôtre.
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