Réalisation et scénario: Matt Ross
Date : 2016
Durée : 180 mn
Acteurs principaux : Viggo Mortensen (Ben Cash), Franck Langella (Jack, le père de Leslie), George McKay (Bodevan), Samantha Isler (Kielyr), Annalise Basso (Vespyr), Nicholas Hamilton (Rellian)
A/SA
Mots clés : Idéologie – Père – Emprise – Education – Bipolarité
Même s’il est recommandé de s’intéresser préalablement aux films que l’on va découvrir, se distinguent ceux que l’on a envie de voir – peu nombreux, par ces temps de pensée formatée – ceux qu’on voudrait éviter car l’on devine que l’on va les subir et, enfin, ceux que l’entourage nous incite à découvrir pour nous faire une opinion. Captain Fantastic – un titre accrocheur pour les ados − chevauche ces deux dernières catégories, ce qui est bon pour le nombre d’entrées, critère aujourd’hui décisif.
« Captain Fantastic » est un reflet de l’idéologie dualiste nord-américaine : une famille hippie « survivaliste » dans le Nord-Ouest montagneux des USA, dirigée avec une douceur dictatoriale par le père, d’un côté, sa belle-famille, emblématique de la réussite sociale conventionnelle, résidant au Nouveau Mexique, de l’autre. La construction de l’histoire évoque une bande dessinée pour adultes.
Ben Cash, le chef de famille, gouverne ses enfants aux prénoms singuliers, en l’absence de sa femme, malade et hospitalisée. Elle a souffert, depuis toujours, de troubles maniaco-dépressifs. L’époux apprend bientôt au téléphone son suicide; avec tristesse et soulagement. Leurs six enfants prennent la nouvelle sans fioritures. L’atténuation n’est pas dans le style de l’éducation paternelle, spartiate, rousseauiste, livresque, pédagogique, résolument antisystème. Iconoclaste en diable, Ben Cash fête en famille la saint « Noam Chomsky », linguiste très connu pour sa sensibilité révolutionnaire.
L’invraisemblance du scénario dérange. Elle ne relève pas, en effet, d’un parti-pris ironique du réalisateur, tel, par exemple qu’Hitchcock, dans sa période anglaise, avec Une femme disparaît ou Les 39 marches.
La scène de chasse inaugurale n’est pas de nature à ouvrir l’appétit : Bodevan, l’aîné maquillé de cendre tue un cerf au couteau et mange le cœur chaud et sanguinolent de la bête. Moyennant quoi, il est reconnu dans sa virilité par son papa tout-puissant. Un peu plus tard, ce même jeune homme fait repartir un gendarme de la route, alerté par un feu de position grillé de l’autocar familial, en chantant un cantique chrétien exalté, évidemment blasphématoire. Cependant, ce maoïste déclaré – il y en a donc encore – a préparé, en douce et à l’insu de son père, Harvard et d’autres concours analogues, avec l’aide de sa mère, ex-avocate, convertie au bouddhisme. Il a reçu plusieurs courriers de félicitations des Grandes écoles US lui indiquant son admissibilité. Comment réussir son acting out face à son père ?
Ben Cash décide logiquement de s’imposer aux obsèques de sa femme au Nouveau Mexique et de l’incinérer selon les règles du bouddhisme et la volonté testamentaire de la défunte. Voici la petite famille engagée dans un road-movie à travers l’Amérique. Elle fait halte chez la belle-sœur dont les enfants sont accrocs à des jeux vidéo terrifiants. Elle écume au passage un supermarché, par une opération commando où le père mime un infarctus pour faire diversion, pendant que les enfants se servent dans les étalages. Après maintes péripéties, tout est bien qui finit bien, les enfants et le père déterrent pendant la nuit le cercueil de la mère et lui font traverser les USA. Ils peuvent contempler, tout au long du périple, le visage apaisé de la morte, cercueil ouvert. Apparemment, les Pompes funèbres nord-américaines ont des secrets, dignes du temps des Pharaons, pour préserver les corps de leur putréfaction… Bref, le bûcher rituel est constitué au bord d’un lac. Le feu est mis. Une des jeunes filles chante, le père joue de la guitare, son adolescent un moment rebelle, l’accompagne à la batterie. C’est de nouveau l’union sacrée. La séquence se termine dans les toilettes d’un aéroport, les enfants tirant en riant la chasse d’eau sur les cendres de leur mère versées dans la cuvette, satisfaisant à ses exigences testamentaires. Après quoi, l’aîné peut rejoindre sa grande école, après avoir écouté pieusement les conseils de son père : « Respecte tout le monde, sauf les chrétiens ! ». Le reste de la famille reprend sa vie patriarcale, sur un mode rural plus traditionnel, puisqu’elle élève des poulets et cultive des fruits et légumes.
Cherchez l’erreur
Présenter ce film comme « une très belle fable philosophico-écolo-familiale », « une saga familiale emballante », « hors des sentiers battus » − ce sont les expressions d’un commentateur autorisé − a le mérite de solliciter l’esprit critique.
Nous prennons le risque de les discuter à notre tour.
Hors des sentiers battus ? La fuite dans la nature sauvage est au contraire récurrente dans la filmographie nord-américaine.
Ecologique ? En quoi la solution « Ben Cash » constitue-t-elle une politique écologique alternative ?
Saga familiale emballante ? Certes, les enfants n’ont guère d’autres choix qu’être « emballés ».. Ils ont subi et accompagnent les difficultés psychiques de leur mère et les lubies psychorigides de leur père. Une des filles manque de se tuer pour satisfaire une mission paternelle. La fratrie doit souscrire à l’exécution morbide du testament de leur mère. Qui d’entre les spectateurs adhèrerait un seul jour au mode de vie mis en valeur par la famille Ben Cash ? Les exclus de notre civilisation urbaine seraient-ils tentés d’adhérer à ce projet de vie ?
Le terme de « maltraitance infantile » semble approprié pour décrire l’ambiance familiale. Que le spectateur se mette à la place de ces enfants, en obligation de subir les épisodes psychiatriques de leur mère, aggravés par l’instillation quotidienne des principes éducatifs et des références culturelles de leur père. Le mélange des Variations Golberg et des couteaux à tuer est pour le moins curieux.
Le plus insupportable dans ce film est le côté donneur de leçons de ce pater familial « libertaire ». Le respect de la liberté des enfants ne fait pas partie de sa culture. Il n’est jamais trop tôt,selon lui, pour leur infliger des explications physiologiques ou des théories politiques coupées des réalités qu’elles ont déterminées. Le père utilise ses enfants pour régler ses comptes avec une société qu’il rejette. Il n’est pas totalement antipathique. Ses qualités pédagogiques se vérifient dans sa façon de faire réfléchir une de ses filles sur Lolita, le célèbre roman du russo-américain Nobokov, décrivant l’attirance amoureuse d’un « vieux » pour une gamine. Nous ne sommes pas loin de l’emprise. L’amour qu’il portait à sa femme est la raison avancée pour justifier le repli familial dans la Nature. Son indéniable attachement n’excuse pas le déni des moyens pharmacologiques disponibles ou le rejet d’une psychothérapie équilibrante. Il croit bien faire en se trompant, ce qui est humain. Une prise de conscience s’amorce lors de l’accident provoqué de son adolescente. Ses certitudes se tempèrent quand il découvre que sa femme enseignait en secret à leur aîné la culture élitiste aborrhée.
Ce film pose la question de la fonction éducative paternelle ou des interactions entre le fonctionnement mental et la fonction éducative.
Un adulte peut avancer ses arguments sans leur donner le statut de vérité. Il peut laisser aussi à un enfant le temps d’évoluer, en lui donnant la possibilité de prendre divers repères, d’autres influences, et de se construire au contact du réel. On ne s’appuie bien que sur ce qui résiste. La pédagogie suppose des étapes dans le discours.
En matière de prévention des addictions, l’approche devrait à l’évidence être différente à l’école primaire, au collège et au moment d’entrer dans la vie active. Diaboliser n’est pas un bon procédé intellectuel. Ben Cash boit du vin quand il n’est pas bien. Pourquoi pas ? Il assimile le Coca-cola à la Société qu’il exècre. C’est son droit. Il confond conservatisme bourgeois et la religion des chrétiens. L’amalgame est, cette fois, un peu court. En quoi la matrice idéologique qu’il impose à ses enfants est-elle différente de l’arbitraire religieux et du moralisme qu’il refuse ? L’anticonformisme ostentatoire n’est-t-il pas le meilleur allié du conformisme ? Le doute méthodique n’est-il pas préférable aux certitudes tranchées ? Le « Pas-de-côté » que nos sociétés démocratiques et cependant totalitaires imposent ne peut-il se décliner autrement ?
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