Réalisation et scénario : Lucas Belvaux
Scenario : et de Jérôme Leroy, auteur de Le Bloc (éditions Gallimard)
Date : 2016 / France
Durée : 144 mn
Acteurs principaux : Emilie Dequenne (Pauline, l’infirmière) , André Dussolier (le vieux médecin), Guillaume Gouix (l’amoureux) ,Catherine Jacob (le chef du Parti), Patrick Descamps (le père de Pauline)
SA/ HA
Mots clés : Politique – Manipulation − Populisme – Clivage – Violence
Lucas Belvaux, sur la base d’un livre récemment publié par Jérôme Leroy, a pris l’initiative d’une fiction évoquant la stratégie électorale du FN dans une petite ville du Pas-de-Calais. Le vieux médecin du village, acquis depuis longtemps aux idées du FN − alias Le Bloc − a repéré comme candidate possible à la Mairie, Pauline, infirmière à domicile, aussi dévouée qu’indifférente à la politique. Son père a pourtant été toute sa vie militant au PCF et à la CGT. II passe désormais ses journées devant la télévision pour se consoler de son veuvage et du naufrage de ses convictions. Pauline fait vivre la tradition familiale par son investissement professionnel. Comme l’ensemble des habitants de cette ancienne commune ouvrière, encore décorée par les corons, elle côtoie le chômage, la désespérance, le vieillissement de la population d’origine, la montée de la pauvreté, la banalisation des incivilités, la confrontation avec la culture musulmane et, plus spécialement, la soumission exigée et obtenue des femmes de cette confession. Le vieux praticien, fort bien incarné par André Dussolier, est chargé, en accord avec la présidente de son Parti, une simili-Marine, officiellement candidate à l’élection municipale, de trouver une « tête de gondole », une oie blanche en politique, dont la popularité lui fera gagner la bataille. Une sorte de réminiscence de Monsieur Smith au Sénat. Pauline, maman célibataire d’un garçon et d’une fille, bientôt adolescents, se prend au jeu. Un bonheur n’arrivant jamais seul, elle retrouve son premier amoureux, celui de ses seize ans. Hélas, le beau rêve va progressivement se dissiper…
Manipulation et violence symbolique : application à la politique
Le réalisateur propose une histoire orientée, voire caricaturale, par sa pédagogie militante contre les idées extrêmes. En même temps, l’atmosphère qu’il décrit suscite un élan de sympathie pour cette population profondément déstabilisée par la désertification industrielle.
D’un point de vue clinique, plusieurs éléments peuvent être relevés. Le premier d’entre eux, d’ordre socioculturel, réside dans le fait que des générations issues des milieux ouvriers ne manquent pas d’allant, de générosité et d’ouverture d’esprit. Encore leur faut-il résister au découragement, à la déculturation et à l’anesthésie addictive. Pauline soigne tout le monde et sans discrimination dans les quartiers les plus défavorisés, de même qu’elle apporte sa présence aux populations âgées et malades.
Dans un registre proche – l’impact de l’Histoire sur les comportements collectifs – le film semble établir une relation entre la déviance violente et le trauma transgénérationnel des guerres et des bouleversements sociétaux induits. Un des membres du groupe extrémiste est un agriculteur qui doit encore retirer des obus allemands de son champ. De quoi perturber son attachement à la mère-patrie…Jean-Yves Broudic avait publié, en 2008, un essai original faisant lien entre certains effets de la guerre de 14-18, particulièrement meurtrière pour les jeunes bretons expédiés à la boucherie des tranchées, et le taux très élevé des suicides et de l’alcoolisme en Bretagne pour les générations qui avaient suivi.
Les changements sociétaux survenus donnent prise à des comportements que nous connaissons bien où dominent les peurs, les amalgames, le rejet de l’autre et la violence. Ainsi l’ancien amoureux de Pauline se trouve être un nazillon acquis aux expéditions punitives contre les immigrés − face sombre de sa personnalité, évidemment cachée à la jeune femme. Le groupuscule paramilitaire auquel il appartient ferait passer le Ku Klux Klan pour une amicale folklorique. À se demander ce que font les représentants de l’ordre dans ce coin de France, et pourquoi les journalistes n’en font pas leurs gros titres ! Le jeune homme offre un bel exemple de faux-self et de clivage de la personnalité sur fond de violence pulsionnelle. Il aime sincèrement et avec délicatesse Pauline. En même temps, cet exclu du Bloc pour ‘‘extrémisme terroriste’’ continu ses entrainements et ses actions violentes xénophobes et racistes. Nous pourrions aussi bien l’imaginer en djihadiste. A la différence qu’il n’a pas eu besoin de s’expatrier pour devenir un soldat du Bien. Un des jeunes gens d’une amie de Pauline est devenu adepte d’un réseau social exaltant la haine raciale. Les djihadistes – on s’en doutait − ne sont pas les seuls à offrir ce type de prestations.
La manipulation est omniprésente dans le comportement des politiciens du FN. Le cynisme qui s’affiche n’a rien de très nouveau, semble-t-il : Machiavel, Talleyrand, Goebbels, Staline …pour s’en tenir aux figures faisant consensus. Quoiqu’il en soit, Pauline garde son bon sens, le souci de soi-même et de l’autre. Elle ne tardera pas à subir les désillusions successives qui vont intervenir. Au terme de l’histoire, elle pourra retrouver son métier, ses chers patients de toutes origines et son propre père, tiré de son apathie dépressive par le retrait de sa fille du piège électoraliste. Tout est bien qui finit bien, pourrait-on dire. Cependant, quelles sont les réponses alternatives des gens réellement bien, comme le sont à n’en pas douter les autres candidats au pouvoir, leur entourage militant, ceux qui dirigent la finance et l’économie, qui administrent le pays, diffusent l’information et distinguent les comportements corrects de ceux qui ne le sont pas ?
Heureusement, pour les déclassés de cette région, il est encore possible de s’enthousiasmer pour le Racing Club de Lens, en agitant des petits drapeaux jaunes et rouges.
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