Réalisation: José Luis Valle

Scénario: José Luis Valle

Date: 2013 / Mexique – Allemagne

Durée: 120 mn

Acteurs principaux : Jesus Padilla (Raphael) Suzana Salazar (Linda) Barbara Perrin-Rivemar (Elisa) Talaia Vera (la vieille dame riche) Le lévrier femelle (Princesse)

SA

Mots-clés : Domination – pauvreté – soumission −  vengeance – ironie

 

 

Le réalisateur Jose Luis Valle livre un film étonnant pour exprimer l’absurdité d’un monde façonné par l’argent du Capital. Sa façon de tourner, atone, comme paresseuse, les plans fixes et le montage des scènes, désinvolte, le choix de livrer un minimum d’explications créent une atmosphère étrange. Le spectateur est assigné à demeurer attentif dans son fauteuil, pour comprendre la morale de l’histoire. Il est confronté à la fatalité qui pèsent sur les dominés sous l’influence de cet argent qui encombre les uns et dont sont privés les autres. Les messages de fraternité, de complicité et de bienveillance existent en filigramme, avec le recul de l’ironie et une grande économie de mots. La revanche des dominés sera aussi efficace que discrète.

Raphaël est technicien de surface dans une usine Philips de lampes électriques. Linda, est domestique chez une vieille dame riche en fin de vie, qui n’a d’yeux que pour son lévrier. On comprend que Raphaël et Linda ont été mariés, il y a longtemps. Comme Raphaël le confie à l’employée d’une boutique de chaussures, le couple n’a pas survécu à la mort accidentelle de leur petit garçon,  sans doute noyé dans la piscine de la villa, par un défaut d’attention. Chacun vit, à présent, sa solitude, l’un dans un camping-car aménagé, l’autre dans une chambre de bonne qui évoque une cellule de prison.

Raphael est un employé exemplaire, arrivé enfin à l’heure de la retraite. Comme le relève le cadre qui l’accueille, derrière son ordinateur, après une demande de rendez-vous, il n’a jamais manqué un jour. Il n’a même jamais pris de vacances ! Mais c’est un travailleur sans papiers.  Il s’était engagé dans l’armée des USA au Vietnam contre la promesse de bénéficier de la nationalité nord-américaine en remerciement des services rendues. La promesse n’avait pas été tenue. Faute de mieux, il s’était fait embaucher dans cette usine Philips, dans celle ville côtière du Mexique, Tijuana… Le cadre a la bonté de prendre en compte ses états de services exceptionnels, encouragés par sa condition de non-citoyen. À défaut de retraite, il pourra continuer à balayer au-delà de la limite d’âge.

De son côté, Linda est spécialement affectée au service de « Princesse », la bien nommée chienne de la patronne. La blanche statue du gracile et indolent animal campe sur le parvis de la villa dominant la mer. Un buisson du jardin est taillé à son image. Tout l’amour dont est capable la propriétaire se concentre sur sa chienne.

Les conditions de travail sont douces bien que  monotones : ramasser les feuilles de la piscine, promener un chiffon sur la rampe d’escalier, lustrer la vieille Mercédès qui promène chaque jour Princesse, peser et cuire à point sa portion de viande…  

Installée dans son fauteuil roulant, muni d’un dispositif respiratoire et de perfusion, face à l’Océan, la ‘’patrona’’ ne daigne pas répondre à son fils au téléphone apportée par l’effacée Elisa. La vieille dame a désigné le lévrier comme son héritier. Quand la chienne aura expiré à son tour – sous réserve de mort naturelle authentifiée, comme le souligne le notaire lors de la lecture du testament – c’est le personnel qui héritera du chien.

La soumission des dominés n’est cependant qu’apparente. La solidarité de condition existe encore en leur sein. Comme le découvrira le spectateur, la vengeance est un plat qui se mange froid.

Princesse en fera les frais, ce qui ne pourra laisser indifférents les amis des bêtes. La violence symbolique des rapports sociaux de domination appelle d’autres types de violence, plus concrètes.

L’humour est noir et glacé, et en même temps, obscurément chaleureux. Le capitalisme d’aujourd’hui a toujours besoin de domestiques. Ces derniers peuvent encore se parler et partager, par chance, le confort routinier d’une vie de chien ou d’usine.

Une vie de chien

L’alcoolisme est aussi à l’origine d’un déclassement social. Il rapproche nombre de ceux qu’il affecte d’une position de survie. La personne alcoolique, pas plus que les employés de la vieille dame ou l’ouvrier d’usine, ne doit s’attendre à l’impossible : être maître de son destin si elle ne prend pas ses affaires en main.

La personne alcoolique est incitée, comme eux, à se soumettre au système : à boire tant qu’elle peut, à être punie en cas de débordements. Elle bénéficie d’une forme de mansuétude par la contrepartie des cures et des postcures, si elle se tient bien pendant les séjours. À la phase de dépendance active, elle donne indirectement du travail à des tas de gens ; comme  la chienne. Elle contribue en particulier  à la prospérité des établissements de santé. Elle mobilise le savoir technique de nombreux professionnels, dans la plus accomplie des indifférences. Les alcooliques, ainsi assistés, sont des immigrés de l’intérieur, des « sans-papiers » tolérés. Ils ne sont pas reconnus comme tels. Ils n’ont pas de cliniciens attitrés. Ils peuvent cependant bénéficier d’une petite pension au titre du handicap constitué par l’addiction et par une co-morbidité psychiatrique ou une autre pathologie éventuellement associée. Ils doivent pouvoir continuer à consommer jusqu’au dernier jour, quitte à finir sous les ponts. Le droit à la retraite ne leur est pas retiré. L’alcool et le tabac soulagent cependant l’Etat, par la réduction de l’espérance de vie, de dix années de versements. Vous me direz que pour une vie de chien, c’est un moindre mal. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un chien riche comme maître. En même temps, la condition alcoolique crée les conditions d’une réflexion, d’une solidarité, d’une réactivité aussi discrète que celle des prolétaires de cette histoire savoureuse.

L’image du mur à interstices qui coupe en deux parties la plage et la mer symbolise, semble-t-il, les barrières qui séparent les humains les uns des autres. Il n’interdit pas de se parler.