Réalisation : John Huston
Scénario:Wolfgang Reinhardt et Charles Kaufman
Date : 1962 / USA
Durée :116mn
Acteurs principaux : Montgomery Clift (Sigmund Freud), Rosalie Crutchley (la mère de Freud), David Kossoff (le père de Freud, Jacob), Larry Patks (le docteur Josef Breuer), Susannah York (Cecily Koertner), Susan Kohner (Marta, l’épouse de Freud), Fernand Ledoux (le professeur Charcot), Eric Portman (le docteur Meynert), Allan Cuthbertson (Wilkie)
SA/HA
Mots-clés : psychanalyse –hystérie – hypnose− névrose–adversité
John Huston a eu l’initiative louable de raconter le début de la carrière de Sigmund Freud. Il donne à sa réalisation, une pédagogie en images, le rythme d’un parcours tortueux et torturé. Le récit narratif est ponctué de séquences – y compris celle de l’acte manqué ! – et de cas cliniques qui ont conduit le jeune Freud à élaborer par étapes successives sa théorie de l’inconscient. Ses premières observations d’hystérie servirent à la concevoir. Il utilisa rapidement l’hypnose que pratiquait Charcot à Paris. Il travailla plusieurs années de concert avec Breuer, un collègue plus âgé, qui occupa, un temps, le rôle de mentor. Ce dernier n’eut pas l’audace de suivre Freud dans sa découverte dérangeante de la vie fantasmatique sexuelle infantile. Freud posait tout enfant comme un ‘‘pervers polymorphe’’, jusqu’au dépassement de ses conflits intrapsychiques. Il accordait une place décisive au complexe d’Œdipe pour l’avoir éprouvé face au comportement transgressif d’un jeune patient sous hypnose, Wilkie. Le patient avait été interné et il s’était suicidé par la suite. La théorie se forge aussi à partir des contre-transferts du thérapeute. Freud expliquait également l’hystérie par le refoulement des pulsions sexuelles interdites dans l’inconscient. L’alternative à ce processus mental est la sublimation des pulsions par leur symbolisation. La mythologie grecque, de ce point de vue, peut se comprendre comme une formidable fresque des fantasmes et des constructions imaginaires mettant en histoires les pulsions, les interdits, leur transgression, la honte et la culpabilité.
Huston montre bien la démarche scientifique de Freud faite d’écoute et d’observation, attentif à ce qu’exprime le patient en hypnose et à ce qu’il ressent et comprend lui-même par la relation établie. Par la suite, Freud abandonna l’hypnose, source, selon lui, de trop de suggestions de la part du thérapeute. Le film montre implicitement l’évolution vers la cure psychanalytique. Le dernier cas clinique montre bien la fécondité de la méthode et, en même temps, ses dangers, représentés par les phénomènes de transfert de la patiente vers le thérapeute.
Nous vérifions que le clinicien, par la relation établie avec le patient apprend tout autant des autres que de lui-même.
Comme la plupart des découvreurs et des cliniciens s’éloignant de la Pensée commune, Freud fut critiqué, écarté, décrié. Le film le démontre très clairement à plusieurs moments. Les résistances du milieu professionnel et de la Société à des approches qui dérangent les façons de penser, les positions de pouvoir et les avantages qui s’y rattachent, sont inévitables. Il n’est jamais sans danger de faire dérailler le train des opinions convenues.
Le film doit beaucoup à l’interprétation de Montgomery Clift. Pourtant, ce formidable acteur est déjà très marqué par son alcoolisme. Il allait mourir quatre années plus tard. Son homosexualité était mal acceptée à Hollywood, d’autant que la beauté et l’intensité intérieure que Monty transmettait à ses personnages suscitaient de grandes passions chez les spectatrices.
La psychanalyse et l’alcoolisme
Depuis l’ouvrage remarqué des lacaniens de Mijolla et Shentoub « Pour une psychanalyse de l’alcoolisme » en 1990, qu’y a-t-il eu de notable ? Beaucoup de choses en réalité, avant et après la publication de cet ouvrage. Nous nous limiterons à quelques indications.
Pour l’essentiel, l’école anglaise a permis des avancées remarquables bien que non spécifiques dans le domaine de la psychogénèse des addictions. La pédo-psychanalyse avec notamment Donald Winnicott mais aussi les travaux sur l’attachement de Harlow et de bien d’autres, ont étayé une approche psychodynamique, illustrée notamment par Joyce Mc Dougall et Michèle Monjauze, en France. La psychopathologie attachée à la problématique alcoolique s’en est trouvée profondément enrichie, tandis que la psychosociologie française a porté de précieux éclairages. L’héritage théorique de Freud n’est pas pour autant devenu caduc. L’évolution des profils de personnalité avec la dominante des pathologies du narcissisme, des organisations limites de la personnalité, des troubles de l’humeur graves et des structurations psychotiques conforte plus qu’elle ne relativise les observations et déductions de Freud.
Nous pouvons relever que Freud s’est appuyé sur l’hypnose et la suggestion avant d’adopter les règles de la cure analytique alors que certains courants privilégiant les thérapies brèves ont voulu déconsidérer les conceptions freudiennes. Il y a eu même, en 2016, à l’Assemblée Nationale, un groupe de députés qui souhaitait en voir supprimer l’enseignement. Ils suivaient en cela l’évolution des universités nord-américaines. Les querelles entre les ‘‘écoles’’ et sociétés, l’hermétisme de certaines chapelles, les cures interminables et leur caractère onéreux ont desservi cette discipline. Pour si géniale qu’elle soit, une théorie ne peut prétendre rendre compte de la totalité du champ de son objet. L’hégémonie culturelle exercée par la psychanalyse finit par susciter d’autres courants interprétatifs du psychisme humain qui visèrent à la discréditer. Pour autant, avec beaucoup d’autres cliniciens, nous estimons que la grille de lecture psychanalytique, en référence avec les auteurs cités, est tout-à-fait utile et facilitante pour comprendre les méandres de la psyché humaine. De très nombreux ouvrages expriment cette culture et cette approche en sachant raison garder.