Réalisation : Craig Gillespie
Date : 2007 / USA
Durée : 106mn
Acteurs principaux :Ryan Gosling (Lars), Emily Mortimer (Karin, la belle-sœur de Lars), Paul Schneider (Gus, le frère de Lars), Patricia Clarkson (Dr Dagmar Bergman), Kelli Garner (Margo)
SA
Mots-clés : objet transitionnel, fonctions du psychologue, immaturité affective, relation fraternelle, liens familiaux
Lars est un personnage introverti qui mène une vie recluse. Il habite dans le garage attenant à la maison familiale où vivent son frère Gus et sa belle-sœur enceinte Karin. Il semble se complaire dans la solitude, qui est accentuée par sa peur des interactions relationnelles. Pour autant, il participe à plusieurs activités collectives et il est apprécié par son entourage.
Tout change lorsqu’il achète une « love-doll », une poupée aux proportions humaines qui sert habituellement à assouvir des fantasmes sexuels, et qu’il la considère comme sa petite amie. L’introduction de cette poupée va bouleverser l’existence paisible de la communauté, et plus particulièrement les rapports entre Lars, Gus et Karin, en révélant des problématiques psychiques que Lars ne peut surmonter que par le biais d’un objet humanisé.
(Présentation de Bénédicte Sellès)
Intérêt en alcoologie – commentaire du docteur Henri Gomez
La production d’une « fiancée pas comme les autres » ne manque pas d’interroger le spectateur. Quelle a donc été l’intention du réalisateur Craig Gillespie ? Est-il possible de croire un seul instant à l’existence d’une communauté villageoise qui, par l’intervention conjuguée d’une belle-sœur, un peu ambigüe, d’un médecin, étonnamment futé, et d’un pasteur tout aussi subtil, saurait s’adapter si parfaitement au transfert amoureux d’un sympathique psychotique sur une poupée d’amour synthétique ? Peut-être le réalisateur a-t-il souhaité créer un film propre à stimuler les équipes soignantes en milieu psychiatrique ? Peut-être a-t-il voulu montrer par cette fiction que les bons sentiments – disons, la congruence chère à Carl Rogers – valent mieux que tout autre méthode s’ils se nourrissent de l’intelligence de la relation et, plus précisément, de la non-directivité qui convient à toutes sortes de détresse mentale ? Pourtant Craig Gillepsie était au départ un publiciste, un designer. Australien, arrivé très jeune aux USA, ce réalisateur aurait-il choisi de faire vivre la croyance en la bonté des citoyens de l’Amérique profonde?
Si nous acceptons l’invraisemblance de l’intrigue, il est évident que Lars a basculé dans un agir qui met en scène son désir fou d’être reconnu et aimé. Son adaptation à sa famille et aux habitant de son village manque d’authenticité. Lars est certes opérationnel face à son écran numérique. Sa gentillesse est appréciée par tous. Sa pratique religieuse achève d’en faire un personnage rassurant. Il ne lui manque qu’une fiancée pour compléter l’image de quelqu’un de bien sous tous rapports. Et voilà que l’insolite et l’impossible surviennent avec Bianca, un poupée grandeur nature, livrée en colis. En dehors du frère qui tente de faire prévaloir la raison, chacun comprend rapidement qu’il faut jouer le jeu de Lars pour l’aider à passer le cap de son délire amoureux. Bianca joue grâce au médecin, dont on apprécie la créativité relationnelle, et à l’environnement humain de Lars le rôle d’un objet transitoire. Nous pourrions souhaiter qu’il en soit de même pour l’objet-alcool chez les personnes qui semblent incapables de s’en séparer. Du point de vue psychothérapique, ce film illustre le bien-fondé de la congruence pour faire évoluer les personnes concernées par un délire projectif, comme on le voit chez les schizophrènes ou dans les troubles maniaco-dépressifs. En conclusion, il est suggéré est qu’il ne faut pas contrarier les fous. C’est en adoptant leur point de vue de façon intelligente car intuitive qu’on les aide à devenir bien-portants.
Il est amusant de constater que Lars découvre la grave maladie de Bianca, participe dignement à ses obsèques, avant de se rapprocher de sa sympathique collègue, Margo, qui s’est intéressée à lui. Un fait d’armes de la congruence.
Au-delà de cette plaisante histoire, faut-il valider que le fait que désormais le déni du réel l’emporte sur la raison dans les relations humaines ?
Intérêt en alcoologie – commentaire de Bénédicte Sellès
Lars manifeste de sérieux handicaps relationnels qui sont cependant tempérés par de belles qualités humaines. Il s’avère bienveillant, altruiste, et bien intégré dans sa petite communauté. Alors que Karin pressent la détresse de son beau-frère, Gus minimise la situation et émet des inférences incorrectes sur les besoins et désirs de son frère. Il avance que ce dernier présente des traits asociaux qu’il a hérité de leur père.
Bien que Lars semble susciter l’intérêt et plaire à la gente féminine, il n’est pas prêt à s’investir dans une véritable relation amoureuse. Ce qui l’amène ironiquement à détourner la fonction première d’une « love doll » afin de l’adapter à ses propres besoins socio-affectifs. Un substitut sexuel se transforme ainsi en un substitut relationnel et amoureux.
La « love doll » Bianca possède les caractéristiques d’un objet transitionnel, sur lequel Lars projette ses propres valeurs personnelles. Elle aurait été un objet transitoire si elle avait seulement servi à remplacer la fonction maternante manquante en maintenant le déni du manque de la mère, comme c’est le cas dans les addictions où l’objet addictif se substitue à l’objet transitionnel et nuit au travail d’élaboration psychique du sujet. Bianca représente ainsi le lien entre Lars et sa mère et aussi l’objet qui va lui permettre de s’en détacher. La présence de Bianca est nécessaire à Lars pendant un certain temps, car elle l’aide à lutter contre ses angoisses dépressives et abandonniques.
Lorsque Lars présente sa « fiancée » à Gus et Karin, ces derniers choisissent d’adhérer momentanément à la construction délirante de Lars, en prétendant que Bianca est un être humain. Mais ils sont rapidement dépassés par la situation (qui ne le serait pas à leur place ?). Gus invoque la folie pour désigner un comportement qu’il trouve anormal, illustrant bien l’incompréhension d’un proche face à la problématique psychique d’un de ses parents. Karin prend une bonne initiative en suggérant d’inciter Lars à consulter une psychiatre-psychologue, sous le prétexte de prendre rendez-vous pour Bianca.
Ce film offre une représentation réaliste de la fonction du psychologue (qui est aussi psychiatre dans ce film, ce qui est commun aux Etats-Unis), éloignée des représentations caricaturales et fausses que les films présentent habituellement. Le Dr Dagmar adhère en apparence au délire de Lars en considérant Bianca comme une vraie personne pour gagner la confiance du jeune homme. En cela, elle s’appuie sur la logique et le mode de représentation de la réalité de Lars, puis l’amène progressivement à changer sa perception de la réalité.
Elle n’exclut pas Karin et Gus du suivi thérapeutique puisqu’elle les voit tous deux en consultation, incluant ainsi une dimension systémique dans son approche thérapeutique. Cet entretien avec la famille de Lars lui permet de recueillir des renseignements complémentaires pour disposer d’une version plus réaliste des faits et mieux saisir la dynamique relationnelle de cette famille. Elle ne prétend pas pouvoir « guérir » Lars. Elle diagnostique le trouble délirant, ainsi que l’anxiété sociale et la phobie d’être touché dont souffre Lars.
La consultation prend aussi une dimension psycho-éducative, car le discours du Dr Dagmar contribue à déstigmatiser la maladie mentale et à inviter ainsi les proches à changer de représentation (stéréotypée) sur les troubles psychiques. La psychiatre énonce avec justesse qu’un trouble psychique peut représenter un moyen de s’exprimer, une tentative de résoudre un problème complexe, et que ce trouble disparaît lorsque le patient n’en a plus besoin. Elle met ainsi en avant le rôle actif du sujet, qui ne subit pas simplement sa pathologie mais l’entretient et l’utilise inconsciemment pour trouver du sens et de la cohérence à son existence.
Lorsqu’un trouble psychique survient, les proches du patient présentent des attitudes contrastées qui oscillent entre la compréhension, la protection, l’empathie, la confrontation, l’exaspération, le sentiment d’être impuissant… Dans le film, Karin et Gus expriment un besoin d’être informés sur les traitements disponibles et adaptés, et sur les spécificités du trouble en question, sur ses conséquences, et sur le pronostic. Ils éprouvent également un besoin en guidance car ils désirent savoir comment assister Lars au mieux et comment réagir si leurs tentatives d’aide échouent. Enfin, ils ressentent un besoin de soutien social et émotionnel qu’ils trouvent heureusement auprès de la communauté bienveillante de leur ville.
Dans un premier temps, Gus dénie sa propre implication et sa part de responsabilité dans l’apparition du trouble de Lars. Il confronte Lars en tentant d’ébranler sa conviction délirante. Or, en agissant ainsi il dénie la réalité psychique de Lars pour lui imposer sa vision de la réalité. Son attitude devient moins égocentrée et plus mature au fil du temps, il cherche à rendre intelligible une réalité qui ne lui est pas familière. Lors d’un dialogue avec sa femme, Gus parvient enfin à verbaliser sa culpabilité vis-à-vis de son frère, il réalise qu’il ne lui a pas suffisamment accordé d’attention, d’écoute, de disponibilité.
Dans une belle scène d’échange fraternel, Lars demande à son frère ce que signifie être adulte, peut-être parce qu’il a en partie conscience de son immaturité affective et qu’il souhaite devenir plus mature en demandant conseil à son frère aîné. Gus répond d’abord par des banalités, des phrases toutes faites, comme s’il cherchait à éluder cette question existentielle. Il comprend ensuite l’importance que ses paroles ont pour Lars, et décide de réfléchir plus sérieusement pour offrir une réponse plus élaborée et subjective à son frère.
La psychiatre-psychologue présente de nombreuses qualités attendues de la part d’un professionnel de la santé mentale. Elle manifeste du respect, de la sensibilité, une acceptation inconditionnelle de ce qui est dit et de ce qui est tu, une neutralité bienveillante, de l’empathie pour comprendre le monde intérieur du sujet (elle est réceptive à ce que ressent Lars et lui communique sa compréhension), de l’authenticité (elle a un intérêt réel pour le discours de Lars, elle exprime ses propres sentiments pour signifier le caractère réciproque de l’échange), et même de l’humour. Le Dr Dagmar instaure l’alliance thérapeutique en respectant le rythme de progression du sujet, elle invite ainsi Lars à s’investir dans un travail thérapeutique actif.
Le protagoniste paraît éprouver une culpabilité inconsciente d’avoir été la cause du décès de sa mère, et il revit cet événement dans son rapport à sa belle-sœur, sur laquelle il transfère sa représentation de la figure maternelle. Il adopte une attitude de rejet envers elle et lui fait des reproches, comme si Karin incarnait la mère absente que Lars n’a pas connue, ce qui lui permet d’extérioriser des affects douloureux causés par le manque d’une présence maternelle. On peut supposer que Lars n’a pas réussi à faire le deuil de sa mère. Il lui est donc plus facile de faire le deuil d’un objet personnifié que d’un véritable être humain. Il apprend le renoncement nécessaire en mettant en scène la mort de Bianca, intériorisant par là même les paroles de son frère, auquel il s’identifie, sur le fait d’être adulte.