Réalisation et scénario : Emmanuel Mouret
Date : 2018 / F
Durée : 109mn
Acteurs principaux : Cécile de France (Mme de la Pommeraye) ; Edouard Baer (Marquis des Arcis) ; Alice Isaaz (Melle de Joncquières) ; Natacha Dontcheva (Mme de Joncquières) ; Laure Calamy (L’amie de Mme de la Pommeraye)
SA/HA
Mots-clés : Séduction – Manipulation – Féminisme − Langage − Inégalités
Le plaisir immédiat que procure « Mademoiselle de Joncquières » est de retrouver la maitrise et l’élégance d’une langue subtile qui décline l’infini des nuances de l’intelligence et de la séduction, le clair-obscur du dit et du suggéré, le reste de l’exprimé se concentrant dans le jeu des acteurs.
L’histoire en quelques mots. Un marquis fortuné fait une cour assidue à une comtesse, veuve depuis quelques années et retirée des mondanités dans son château. Le marquis a une réputation éprouvée de séducteur et la comtesse, bien que sensible à la cour galante du marquis, entend bien lui résister. Nous sommes dans une situation de marivaudage. L’objectif du marquis est enfin atteint. Le couple constitué connaît quelques mois de passion partagée puis l’ennui s’installe. Le marquis a besoin de nouvelles conquêtes pour se sentir exister. La comtesse le devine. Elle lui tend un piège qui aboutit à l’aveu redouté. Le marquis s’ennuie, il aspire à reprendre sa carrière de séducteur impénitent. Les protagonistes conviennent d’une amitié qui satisfait pleinement le marquis. En réalité, la comtesse ressent un profond dépit. Elle ne tarde pas à concevoir une implacable vengeance… au nom du féminisme. L’intrigue qui se noue alors va conférer à l’histoire une tension dramatique dont la conclusion inattendue sera laissée au plaisir du spectateur.
Les relations amoureuses et les rapports sociaux
Les portes d’entrée pour une réflexion psycho-sociale et un atelier-cinéma sont multiples…qu’il s’agisse, ici, de la séduction, de la maîtrise de la parole et des non-dits, de la condition féminine et de la violence des rapports sociaux, ou encore de la manipulation et de la vengeance. Le récit narratif nous interroge sur les ressorts subtils de la relation amoureuse. Bref, ce film peut nourrir de multiples thématiques et susciter des débats passionnés, échos de la diversité de la qualité des échanges et des situations livrés par cette histoire, très moderne, en dépit du décalage d’époque.
La problématique alcoolique est également concernée par les ressorts de l’intrigue même si les ivresses et les passions se passent totalement de boisson alcoolisée. L’observateur attentif remarque que les acteurs consomment volontiers quand ils sont perturbés par une émotion. Une bouteille est en passe de devenir une arme quand la manipulation de la marquise s’affiche avec l’impudence qui sied aux riches.
Les jeux relationnels, le cadre et même l’intrigue pourraient évoquer le théâtre. Cependant, le contrôle du langage ne fait que souligner la violence des relations sociales entre aristocrates fortunés (le Marquis des Arcis et Mme de la Pommeraye) et nobles déchues, conduites à la misère et à la prostitution (madame et mademoiselle de Jonquières). Il y a ceux qui ont de l’argent et celles qui n’en ont pas. Le féminisme de Madame de la Pommeraye n’abuse personne. Elle voulait se venger. Elle finit par connaître la pire des défaites : sa victime est convertie par l’amour. « Tel est pris qui croyait prendre », dit le proverbe. Au-delà d’une humiliation surmontée, le marquis pourra vivre un mariage contre toute-attente réussi, avec une jouvencelle, moralement droite et reconnaissante. Comme le relevait un participant de l’atelier : le goujat est récompensé. Le film éclaire sur les séducteurs. Pour eux, la conquête s’apparente à un challenge. Une fois le but atteint – la possession par la ruse –, l’objet qu’ils n’ont pas pris la peine de connaître a perdu son attrait. Ils évitent la rencontre de peur de n’avoir que le vide à offrir en échange. Le libertinage du Marquis, avec sa soif de conquêtes féminines, est-il une addiction ? Ou, contre toute apparence, recherchait-il la sécurité d’une relation fiable, équivalente à celle qu’il avait connue, enfant ?
La violence policée en usage fait penser à celle des institutions, si éloignées des réalités cliniques. L’indifférence, et parfois le cynisme, caractérisent les relations de pouvoir.