Titre original : From here to eternity
Réalisation : Fred Zinnemann
Scenario : Daniel Taradash
Date : 1953 / USA
Durée : 118mn
Acteurs principaux :
Burt Lancaster : Le sergent Warden
Montgomery Clift : Robert Lee Prewitt
Deborah Kerr : Karen, l’épouse du capitaine
Donna Reed : « Florise », l’amie de Prewitt
Franck Sinatra : Maggio, l’amie de Prewitt
Ernest Borgnine : Fatso, « Gras double », chef du camp disciplinaire
Philip Ober : Le capitaine Holmes
John Dennis : Le sergent Galovitch
A/SA
Mots clés : Armée – Solitude – Alcool – Amitié – Autorité
L’action se déroule sur une des îles Hawaii, en décembre 1941. Robert Lee Prewitt y rejoint la caserne de Schofield. Il a choisi de redevenir seconde classe pour manifester son opposition à une décision injuste intervenue lors de sa précédente affectation. Sa présence à Schofield a été souhaitée par le capitaine Holmes, chef du régiment. Prewitt a une réputation de bon boxeur dans les « poids moyens ». Le capitaine Holmes compte sur lui pour faire triompher l’équipe de boxe du régiment et permettre ainsi sa propre promotion. Problème : Prewitt a rendu aveugle son meilleur ami, lors d’un entrainement. Aussi, a-t-il décidé d’abandonner la boxe. Devant son refus catégorique, Holmes va demander à des subalternes, membres de l’équipe de boxe conduite par le sergent Galovitch, d’en faire baver à Prewitt pour l’amener à remonter sur le ring. Tel est le point de départ d’une histoire qui s’achèvera quelques jours plus tard par l’attaque aérienne de Pearl Harbour, port d’attache de la plus grande partie de la flotte américaine des États-Unis, siège de la caserne…
Quand on dit qu’on est seul, on ne ment jamais (Prewitt)
L’action se déroule dans deux lieux clos : une île et une caserne. Le film peut se voir en privilégiant l’analyse psychologique des personnages et en considérant les thématiques qu’ils incarnent.
Le sergent Warden, joué par Burt Lancaster, apparait comme le prototype du sous-officier. Il aime l’armée, l’effet protecteur de sa discipline et de ses avantages. Sérieux dans son travail, il a gagné la confiance de son capitaine. Il bénéficie ainsi de la réalité du pouvoir de décision, tout en étant dispensé d’être au premier rang pour la figuration. Il préfére la réalité du pouvoir à son apparence. Solitaire, il apprécie la fraternité entre les hommes du régiment. Il observe les comportements et sait distinguer les défauts et les qualités de chacun. Il est moins à l’aise dans la relation amoureuse.
Prewitt est une « tête de mule », ce qui est une façon de qualifier quelqu’un d’intransigeant pour les positions qu’il croit bon de défendre. Il est tout aussi attaché à l’armée que le sergent Warden. Celle-ci a joué le rôle d’un second parent quand il s’est retrouvé orphelin à 17 ans. Il incarne une autre forme de solitude. Son salaire n’en fait pas un parti enviable pour la gente féminine. L’amitié qu’il manifeste pour Maggio est le reflet de leur solitude conjuguée. Ses capacités de boxeur l’isolent un peu plus puisque il a décidé de ne pas jouer le jeu. Il refuse de répondre avec ses poings au harcélement sous la forme de brimades de l’équipe menée par le sergent Galovitch. Ses talents musicaux l’isolent aussi, jusqu’à ce qu’il décide à les partager.
La plus belle scène du film est, incontestablement, le moment où Prewitt joue du clairon destiné à signifier, comme chaque soir, l’extinction des feux. Le son qu’il exprime de l’instrument emprunté au soldat de service déchire la nuit et le cœur des soldats, capturés par cette sonnerie d’adieu. Il rend ainsi hommage à son ami Maggio, détruit par les agissements sadiques de « Gras double », le chef du camp disciplinaire.
Prewitt promène tout au long de l’histoire sa solitude d’orphelin qui a fait le choix de l’armée. Il est seul, dans la caserne, pendant qu’il subit les corvées et les punitions. Il tombe instantanément amoureux de Florise, la jolie et distinguée entraineuse du night-club, pour s’entendre dire qu’il devra se contenter d’un amour provisoire, la jeune femme ayant d’autres projets. Il finira, au clair de lune dans un trou de bombe, sous les balles des soldats mobilisés par la surveillance de l’île, après l’attaque de l’aviation japonaise, conduite sans déclaration de guerre. Il voulait, en soldat, rejoindre sa garnison. Déserteur de fait, après avoir tué Gras-double, au terme d’un duel au couteau, il ne pouvait de continuer de panser ses blessures chez Lorise. L’état de guerre redistribuait les cartes et les priorités.
Karen Holmes, l’épouse outrageusement délaissée par son époux, véhicule la solitude supplémentaire d’une stérilité chirurgicale, provoquée par la négligence de son conjoint, dans l’incapacité de l’amener dans une clinique obstétricale alors que les douleurs d’un premier et dernier accouchement avaient commencé. Il était entré ivre d’une de ses soirées et s’était endormi sur le divan au lieu de porter assistance à son épouse. Dans l’univers machiste de l’armée, les écarts de conduite de Karen lui avaient donné la réputation d’une femme facile alors qu’elle était fondamentalement une femme malheureuse.
Quant à Maggio, interprété magistralement par Franck Sinatra, il figure un soldat paumé, capable d’amitié, épris d’alcool et de justice.
On peut considérer ce film comme une description de la solitude intrinséque des humains. « Gras double » lui-même, le chef redouté du camp disciplinaire, est un homme seul. Il massacre, seul, sur le piano du night club, des airs de musique entrainants. Il est craint par tous, sauf par le sergent Warden ; il n’est aimé de personne.
Ce film pose donc la question de la solitude et des réponses qui peuvent l’atténuer ou, du moins, la rendre tolérable. Plusieurs pistes sont données : l’amour, l’amitié, l’esprit de corps, la musique et bien évidemment, l’alcool.
À un moment de l’histoire, Warden et Prewitt se retrouve ivres d’alcool et de solitude, la nuit, sur une petite route empruntée par les véhicules militaires. Ils partagent à demi-mot cette solitude si difficile à avouer.
Il existe une symétrique de situation pour expliquer la fin de leurs relations amoureuses respectives. Warden est trop attaché à sa fonction d’homme de terrain pour devenir un de ces gradés qu’il méprise en secret. Karen aime Warden à condition qu’il abandonne son rang de sous-off pour celui mieux rémunéré et plus reconnu d’officier. Lorise aime Prewitt, mais pas au point de lier son destin à un soldat de second classe. Elle veut retourner au pays, une fois qu’elle aura assez gagné d’argent pour elle et sa mère. Les deux femmes quittent l’île, côte à côte, accoudées au bastingage, au lendemain de l’attaque de Pearl Harbour. Lorise a, désormais, pour peupler sa solitude, l’embout du clairon que Warden a récupéré dans la poche du soldat Prewitt, tué, après sommation.
La solitude est aussi le lot de ceux qui décident de leur vie et agissent en accord avec leur éthique et leurs sentiments. Elle renvoie au sentiment d’insécurité, à l’absence de liens forts, de présence affective. Les autres sont également seuls mais ils s’efforcent de masquer ce vécu de différentes façons, en s’alcoolisant, par exemple.
D’autres thématiques sont au second plan, même si elle ne sont pas négligeables : l’amitié, l’amour, la solidarité, l’autorité, l’ambivalence, le respect de soi, des autres et de ses convictions, l’équité et la justice, la banalité des drames, le tragique de la condition humaine.