Ci-gît l’amer
Guérir du ressentiment
Cynthia Fleury
Éditions Gallimard
Guérir du ressentiment ; surtout éviter de s’ancrer dans une posture « ressentimiste ».
Cynthia Fleury montre comment les sentiments d’injustice et d’impuissance conduisent au ressentiment. L’insécurité culturelle, sociale, économique, la dénarcissisation à l’œuvre dans un monde ultra-marchand font naître de l’amertume. Peu à peu, la rumination mène à la haine de l’autre et se cristallise en ressentiment.
Plus on s’enfonce dans cet éprouvé, moins on peut le conscientiser. On adopte une position de déni et de revendication victimaire, s’enfermant dans une opposition systématique sans plus discerner le sens de cette opposition.
Que dans une société survienne une personnalité, même médiocre, qui semble sécurisante et les sujets ressentimistes la choisissent comme leader avec le risque de glisser vers le populisme ou, l’histoire l’a montré, vers le fascisme.
Quand je lis sous la plume de Cynthia Fleury « déni », « camisole de jouissance », comment ne pas penser à la problématique alcoolique qui conduit le sujet à devenir « le parfait geôlier de lui-même » ? Quand je lis « rumination », « ressentiment », comment ne pas penser au familier qui réagit en adoptant une posture victimaire avec, parfois, une certaine « jouissance de l’obscur » et la tendance à « l’auto-empoisonnement » ?
Lutter contre la dérive ressentimiste, « enterrer ou affronter l’amer », nécessite de prendre soin de l’individu en amont, de lui offrir les conditions de son individuation, de l’ouvrir vers autre chose que les objets de jouissance immédiate proposés en permanence par les entreprises séductrices du monde de la consommation, de lui permettre de travailler à « l’augmentation du Moi ». Travailler à affronter la séparation, « ci-gît la mère », sans s’abîmer dans une nostalgie mortifère.
Cultiver l’art de la sublimation pour ne pas sombrer : « ci-gît la mer ». Si elle évoque le naufrage, la mer évoque aussi le grand large et la navigation. Prendre le large, aller vers l’Ouvert c’est « choisir la voie créatrice du discernement ». Je pense au groupe de parole : n’est-il pas un espace privilégié pour « développer l’aptitude à tisser avec ses névroses » et refonder sa vie ?
Au fil des pages, la pensée de plusieurs auteurs est analysée. Parmi eux, Montaigne, Nietzsche, Simone Weil (la philosophe), Frantz Fanon.
Un livre dense qui vient bien à propos dans la situation sociale et politique actuelle.
Cynthia Fleury est philosophe et psychanalyste.
Un commentaire (HG) :
Le ressentiment est, souvent, un poison inutile et pénible de la conscience. Ressasser évoque l’impuissance. Il est quelquefois suffisant de laisser parler les faits d’eux-mêmes pour, par exemple, démasquer une imposture. Cependant, une injustice opérante, une situation inique demandent des réponses appropriées pour éviter l’aggravation du malheur.
L’acte de résistance sollicite le discernement et le courage, l’acceptation du risque lié au pas-de-côté ou à l’opposition. La colère peut être une source d’énergie altruiste. Le ressentiment traduit souvent l’incapacité d’avoir réagi en temps utile et de façon appropriée. Les sujets qui font le choix de dénier le réel n’ont pas de ressentiment ni d’amertume. Ils nomment patience leur passivité et sagesse leur indifférence frileuse.