Régis Debray
Gallimard, Tracts, n°1 2019
3€90, 45 pages
Le saviez-vous ? La bannière de l’Europe aux douze étoiles d’or s’inspire de l’Apocalypse de Saint-Jean ! Douze, comme les apôtres.
Pour ce numéro inaugural de la Collection Tracts chez Gallimard, Régis Debray s’est appliqué. Son document, agréable et léger, est une plaisante dissertation sur une Espérance déçue, une de plus, mais qu’importe, l’Espérance est vouée à renaître. Le pari est que l’illusion soit suffisamment proche des réalités pour ne pas engendrer de nouveau monstre.
« Une parole d’évangile n’est pas à la merci des événements qui eux, en revanche, ont à se justifier des déceptions et des démentis qu’ils infligent à nos vœux ». Debray plaide : « Refuser de faire droit aux illusions, ce serait mépriser ce qui fait d’un mammifère un peu lourd un être humain plein d’allant ». Il poursuit : « S’affirmer à présent bon européen, comme jadis bon chrétien, c’est se ranger parmi les gens fréquentables et l’eurosceptique sait se faire discret par crainte de se voir assimilé au nationaliste qui sacrifie l’amitié entre les peuples à de frileux et sordides réflexes ». Un rappel d’Histoire au passage : le souvenir des accords de Locarno en 1930, avec le plan d’Aristide Briand « d’union fédérale européenne. Monnet et Schuman, au lendemain de la seconde guerre des Temps Modernes, misèrent sur le Marché commun pour instaurer une Europe fédérale, pilotée par l’Allemagne, marché ouvert aux USA, dans l’attente d’autres colonisations. « L’euro, poursuit-il plus loin, ne nous raconte aucune histoire, paysage ou transcendance ». Si bien, que « l’UE ressemble à un rassemblement pour la photo de groupe ».
« Exister, ajoute-t-il, un peu plus loin, c’est se séparer, se poser, s’opposer et inclure, exclure ». « Lorsque l’Europe rayonnait sur le monde, pour le meilleur et pour le pire, elle n’existait pas comme Institution ou Confédération ». Si « son identité, ajoute-t-il, consiste à accueillir toutes les identités, à quoi s’identifier ? ». Propos de portée générale : « Quand un corps se métamorphose, avec ses sensations, ses goûts, ses rythmes, ses visuels, l’esprit se modifie aussi ». L’Européen de notre temps « a des velléités mais, à la fin, il fait où Washington lui dit de faire, et s’interdit de faire là où et quand il n’a pas la permission ». L’abandon du français pour l’américain, soit un langage de communication, de programmation et de publicité, est une forme de suicide par consentement mutuel.
Pour Debray, l’Europe se caractérisait culturellement par « l’association de quatre facultés partout ailleurs incompatibles – « Le sens critique, l’imagination, la confiance et le scepticisme ». Cette remarque m’a rassuré quant au style donné à « Anesthésie générale, l’esprit critique à l’épreuve des addictions ». Il est vrai que nous avons troqué ce mélange détonnant pour « la prière et le fric », façon outre-Atlantique. Debray se rassure : « le 4 juillet n’est pas encore fête nationale ». « Personne ne sait où L’Europe commence et où elle se finit ». L’auteur souligne : « Le monopole de la mise en récit appartient à ceux qui en ont les moyens techniques ». « Le post-moderne préfère l’avoir à l’être ». Le passage sur la Défense européenne vaut son pesant de sigles. Il « n’y a rien de gai à voir le Continent où fut inventé la Politique s’émasculer lui-même avec l’extension du domaine marchand à tous les aspects de la vie, la statistique en idole suprême ».
Recommandation conclusive, non dépourvue d’ambiguïté : « Ne lâchons pas la proie pour l’ombre ». « Rien de grand ne s’accomplit ici-bas sans passion » et la passion est coûteuse en énergie, en inconfort… Cependant, si la passion est écartée, que reste-t-il ?
La fragilité d’une posture intellectuelle, Debray le dit, un moment, dans sa dissertation, c’est de ne jamais se confronter au réel. « Le réel, précise-t-il, c’est ce qui résiste ». Nous retrouvons la bonne vieille praxis, si peu pratiquée par ceux qui nous dirigent et parlent en notre nom, avec forces références savantes qui les distinguent et les font reconnaître.