Régis Debray
France Inter
Equateurs / Parallèles
2019 174 pages, 14€
« Un été avec » fait partie d’une série d’émissions de France-Inter. Ce petit livre rend compte de l’opinion de Régis Debray sur Paul Valéry. Il est facile de retrouver des ressemblances de style de pensée et d’écriture. Valéry et Debray ont en commun une finesse d’analyse et un sens du relatif agréables en ces temps doctrinaires. Tous deux font référence dans la littérature française. Ils rendent compte de notre modernité. Ils sont de leur temps respectifs. Ils se sont trompés tous les deux, en prenant partie, tout en voyant souvent juste. Ils ont cependant échappé au discrédit.
Il était tentant de mieux appréhender Valéry, poète et intellectuelle politique, à partir du regard de Régis Debray. Il y a eu au moins deux Valéry, l’officiel, distingué et, apparemment, épris de considération – ne serait-ce que pour les avantages pécuniaires – et l’autre, perspicace et sceptique, qui se cachait derrière une élégance mondaine. Le premier a pu décevoir par ses prises de positions, reflet de ses amitiés. Il s’est ainsi rangé parmi les anti-dreyfusards. Ce sétois aux origines corses eu comme ami Pierre Louis (Louys), l’antisémite pornographe, Mallarmé et son cercle de poètes, Gide qui en faisait partie. Valéry est un homme d’autrefois dans la mesure où il eut des passions successives : la poésie, la traduction, des essais, les mathématiques. « La soirée avec monsieur Teste » l’a campé en « désenchanté » : « Je crois m’être toujours bien jugé. Je me suis rarement perdu de vue ; je me suis détesté, je me suis adoré ; - puis, nous avons vieilli ensemble ». À 24 ans, il rencontre Edgar Degas, autre antisémite, dans son atelier, se lie à lui. Il dessine, caricature, sculpte, à l’occasion.
Valéry n’aime pas les musées, ces bric-à-brac « qui tiennent du temple et du salon, du cimetière et de l’école ». Paroles justes : « Trop de livres tue les livres ». S’il y a trop de tout, plus rien ne vaut vraiment.
Il y a du dénigrement dans chaque microcosme. À propos d’Aragon, sévère à l’encontre de Valéry, il conclue : « Tout arrive à qui sait attendre, la célébrité d’un côté, les ridicules de l’autre ».
Obscur administratif, Valéry, comme père de famille, semble été avoir inspiré par « le spectre du pognon absent ». Côté cœur, la référence à Catherine Pozzi, intellectuelle mondaine, liée huit ans au poète, est obligée. La poétesse est également connue pour son fils, Claude Bourdet, résistant et anticolonialiste. À propos de Valéry, elle écrit : « Il entre. Il ne me plaît pas physiquement. Non que son visage ne me plaise. Mais il est vieux. Presque un vieillard. Il est habillé sans grand soin ». Une autre formule : « Don Quichotte de l’idée, domestique du réel ».
Dès 1927, Valéry pouvait écrire : « L’Europe aspire visiblement à être gouverné par une commission américaine ». Debray peut souligner certaines opinions prémonitoires : « Il y a eu jadis l’autocratie, il y a maintenant la technocratie. Et l’une n’empêche pas l’autre ». Plus loin, cette étonnement étonnant : « Mais pourquoi a-t-on mis tant de temps à appeler un chat un chat ? » ou encore « Le premier mouvement des uns est de consulter les livres, le premier mouvement des autres est de regarder les choses ». Valéry s’est appliqué au va-et-vient. Le « en même temps » ne le gêne pas. Il s’en amuse, incapable qu’il est d’épouser les a priori de l’un ou l’autre camp ».
Valéry est un homme de formules. À l’intention des professeurs de philo : « Tantôt je pense, tantôt je suis ». Aux réalistes « Tout état social exige des fictions ». Aux positivistes obsédés par la preuve : « Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? ». Aux partisans de la force : « La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force ». Aux âmes délicates « Le loup dépend de l’agneau, qui dépend de l’herbe. Le carnivore protège les herbes ». Aux experts affichés comme tels : « Un homme compétent est un homme qui se trompe selon les règles ».
Ce beau-parleur était allergique au bla-bla. Il affirme que la bêtise publique est un devoir d’Etat. Il est temps de conclure le survol de ce survol par cet hommage aux journalistes. En ces temps de pandémie, ils ont fait plus que leur Devoir.