Klaus Schwab             

DUNOD

196 pages, 12€90

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On peut distinguer trois façons de suivre une course cycliste. La première est de rester avec les coureurs de tête. La seconde est de considérer le peloton depuis l’arrière à mesure qu’il perd de ses éléments. La troisième est de remonter le peloton afin de comparer les différences de rythme et de force. Le livre de Klaus Schwab évoque la voiture d’un Directeur de course qui offre une place à un membre de l’élite.

Dans son introduction, Klaus Schwab souligne l’ampleur et la profondeur de la mutation en cours ainsi que sa rapidité. L’impact systémique est évident : aucune activité, pratiquement, n’échappera aux nouvelles technologies. 

Il passe rapidement sur les trois précédentes révolutions économiques. La première a été celle de l’agriculture et de l’élevage. Elle a permis la croissance démographique et les premières communautés. La seconde a commencé dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, enchaînant plusieurs bouleversements : mécaniques, grâce à l’invention de la machine à vapeur, avec les premières lignes de chemins de fer. Cette révolution allait être complétée à la fin du XVIIIème siècle par l’essor de la production de masse, avec l’électricité et les chaînes de montage. 

En 1960, la révolution numérique s’amorçait. Elle précédait de peu l’arrivée d’Internet. Faisaient alors suite le téléphone mobile puis l’intelligence artificielle, avec l’essor des capteurs permettant une connexion de tous les équipements numérisés. Le numérique s’intéresse aujourd’hui à la biologie pour la transformer. L’auteur souligne, par contraste, que près d’un quart de la population mondiale ne dispose pas d’électricité. L’omniprésent I-phone date de 2007. Les robots, désormais, peuvent nous parler et nous pourrons dialoguer avec eux. Parallèlement à ces changements enivrants, l’auteur pointe quelques inconvénients relatifs à ce qui revient à une substitution du Capital au travail. Les grands bénéficiaires de la quatrième révolution seront ceux qui possèdent les plates-formes numériques avec le capital intellectuel qui va avec. 

L’auteur étudie ensuite les « éléments moteurs ». Il distingue des éléments de type matériel tels que la 3D qui fabrique des objets à partir d’un matériel liquide ou en poudre. 

Les véhicules autonomes se développent, en particulier les drones. La robotique de pointe fabrique des robots qui dans leur structure et dans leur fonctionnement s’inspireront de ce qui s’observe dans la nature. Grâce à leurs capteurs, les robots s’adapteront de mieux en mieux à l’environnement. Finis les travaux de ménage ! Les robots pourront se connecter avec d’autres robots via le cloud. 

Des matériaux nouveaux apparaissent tel le graphène « 200 fois plus solide que l’acier, un million de fois plus fin qu’un cheveu », alors qu’il dispose de grandes qualités de conduction électrique et thermique. De récentes innovations dans le domaine des plastiques thermodurcissables pourraient rendre réutilisables des matériaux pour le moment impossibles à recycler ». L’intranet des objets mais aussi des humains reposent sur le principe des capteurs situés sur des « puces ». C’est grâce à ces capteurs que nous pouvons être pistés dans nos moindres déplacements avec nos portables, en attendant qu’ils soient inclus sous notre peau.

La blockchain est un « livre de comptes partagés », sécurisé par chiffrement. Le codage est la mère de la sécurité : des codages, encore des codages, des codages de première classe et de seconde classe, pour paraphraser une chanson de Gainsbourg. Les codages changent tout le temps. Cela sécurise et cela occupe. Le bitcoin, une des monnaies virtuelles en extension, est un exemple de Blockchain. Il correspond à des transactions virtuelles. Le modèle Uber est une autre application. Plus besoin que la firme dispose d’un véhicule, qu’elle produise un livre ou une musique. La connexion entre celui qui a un besoin et celui qui peut le satisfaire suffit. Alibaba le géant de la vente au détail n’a pas d’inventaire. Facebook ne crée aucun contenu. Airbnb la plus grande plateforme de réservation de logements n’a en propre aucun bien immobilier.

Le biologique est très concerné avec les progrès du séquençage génétique. Il est possible de créer des organismes sur mesure. Outre les progrès en médecine, ces évolutions concernant l’élevage et l’agriculture, notamment dans le contexte du réchauffement climatique.

Des changements systémiques sont à venir et l’auteur s’est appliqué à définir des « points de bascule » où rien ne sera plus comme avant.

Le chapitre 3 s’interroge sur l’impact de la connexion généralisée. Il parle d’empowerment (autonomisation ou émancipation), de la perspective d’un pouvoir réparti où la réussite nécessite plus de collaboration et d’interactions. Il semble cependant que l’empowerment est différent selon que l’on appartient à l’élite et aux déclassés qui n’ont que leur portable pour s’occuper. Très orienté sur la consommation, le chapitre relève que la pauvreté du plus grand nombre finit par créer une récession. Il est question de « stagnation séculaire ». Qui plus est, la population vieillit, tout en augmentant. Elle serait de 7,2 milliards aujourd’hui. Elle attendrait 8 milliards en 2030. L’innovation technologique n’entraine pas de hausse de la productivité. Il n’est pas fait mention de la baisse de productivité provoquée par le gaspillage du temps suscité par la communication numérique. 

L’emploi va être lourdement pénalisé par la géniale révolution : suppression massive d’emplois de service par l’effet de l’automatisation numérique. C’est ainsi que « les pessimistes prédisent à terme une apocalypse sociale et politique, provoquée par un chômage technologique massif. » « Les nouveaux emplois vont se concentrer dans les métiers intellectuels et créatifs à haut niveau de salaire et dans les emplois manuels faiblement rétribués. » 

Un exemple assez drôle est donné avec « l’arrivée de la génération automatisée de récits ». Il est impossible de différencier certains textes rédigés par l’intelligence artificielle de textes produits par les humains. La correspondance médicale est de plus en plus dénaturée par des correspondances préformatées. En pratique, elles font du volume sans diffuser la moindre information utile. De courrier en courrier, le lecteur a droit aux mêmes informations. On peut retrouver cette impression dans certains ouvrages de développement personnel où la même trame est rempli par des propos semblables à la différence du terme près : la confiance en soi, l’estime de soi, le bonheur etc. 

La marche vers le progrès devrait pénaliser spécialement les femmes, les foyers monoparentaux mais également le revenu des familles. La question-clé est celle de la rémunération du temps et de l’effort pour des métiers exigeant des savoir-faire différents.

La quatrième révolution industrielle pourrait favoriser un mouvement de relocalisation de la production vers les pays industrialisés si l’accès à une main d’œuvre bon marché cesse d’être une incitation à la mondialisation. 

« Le danger est que cette révolution instaure une dynamique de type « Le gagnant rafle tout, entre les pays et au sein de chaque pays. () Les troubles sociaux, les migrations de masse et l’extrémisme violent iront en s’intensifiant ». 

« Chaque activité est découpée en missions précises et en projets distincts avant d’être envoyée sur un cloud à destination d’individus disposés à faire le travail ».

Daniel Callaghan, PDG d’un groupe britannique, l’explique sans fausse honte : « Maintenant, c’est : qui vous voulez, quand vous voulez, exactement comme vous voulez. Comme ce ne sont pas des salariés, on n’a pas à s’occuper de toutes les tracasseries et règlementations ». 

Indépendamment de la précarisation induite, les travailleurs pourront s’interroger longtemps sur leur raison d’être. Les personnes trouvant épanouissement et identité dans leur travail risquent de se faire rares, même si certaines manifestent un réel talent à ne pas se poser de questions sur la finalité de leur travail. Il s’agit d’imaginer Eichmann heureux : des listes à jour, des trains remplis qui partent à l’heure, pour une grande cause : l’avènement de la race supérieure.

La grande affaire est d’identifier les clients, d’accroître leurs besoins et de les satisfaire de telle façon qu’ils en redemandent. Le « partage des données » fonctionne comme un puissant accélérateur. Reste qu’à un moment le client doit payer. Pour cela il doit être solvable.

« Aujourd’hui, 30 milliards de messages WhatsApp sont envoyés chaque jour, 87% des jeunes américains déclarent que leur smartphone ne les quitte jamais, 44% qu’ils utilisent la fonction photo ».

Certains produits du type véhicule automobile pourraient être améliorés sans être remplacés. J’ai tendance à penser que cela correspond au marché de l’occasion. Pour autant, transformer une pompe à insuline transplantée en une pompe plus automatisée, n’exigeant plus autant de manipulations, est un progrès réel. De nombreuses prothèses ou exo-greffes rendues génétiquement compatibles avec le receveur, sauvent et prolongent ( ?) la vie d’individus disposant d’un cerveau fonctionnel. Le suivi des équipements en est facilité et ce progrès peut avoir une incidence sur les prix. L’évolution conduit à posséder moins d’objets et à en utiliser ponctuellement plus : on prend l’abonnement à Netflix et on n’achète plus de DVD. Moyennant quoi on affaiblit sa mémoire en effaçant l’objet de son horizon familier.

« Pour survivre ou prospérer, les entreprises seront condamnées à entretenir et à consolider en permanence leur avantage concurrentiel. L’ensemble sera soumis à « une pression darwinienne continue. » Les grandes structures seront à l’origine d’un écosystème de start-up et de PME ». Ainsi, Google s’est restructuré en une holding  appelée Alphabet. 

L’auteur appelle les politiques à la « gouvernance agile ». J’avoue ne pas avoir compris ce qu’il entendait par cette expression. Il parle de l’asymétrie des pouvoirs et de pouvoirs étroitement dépendant de la maîtrise de la technologie.

Un peu plus loin, il évoque la cyberguerre qui a pour effet de diminuer le seuil de la guerre et d’estomper la distinction entre guerre et paix. La prévention de ses effets coûte très cher et complique la vie.

Avec la connexion généralisée, « n’importe quel réseau ou objet connecté, des systèmes militaires ou infrastructures civiles (sources d’énergie, réseaux éclectiques ou d’eau potable, système de santé…) est susceptible d’être piraté et attaqué, tout en ignorant qui vous pirate ou vous attaque. » La perspective d’une guerre des robots ne relève plus de la science-fiction.

L’encadré n°6 (p107 à 109) résume les technologies transformant la sécurité des pays et des continents :

  • Les drones et dérivés guidés par l’intelligence artificielle
  • La militarisation de l’espace via des satellites spécifiques
  • Les dispositifs portables tels les exosquelettes permettant aux soldats de supporter des charges considérables.
  • L’impression 3D, les énergies renouvelables, les nanotechnologies peuvent être utilisées pour réparer ou inventer des armes.
  • Les armes biologiques de l’avenir pourront être des virus, des bactéries artificielles ou des parasites génétiquement modifiés. Les armes chimiques pourraient être distribuées par drones.
  • Enfin, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de nuisance des réseaux sociaux en termes de diffusion de fausses informations et de propagande.
  • Il est envisagé d’utiliser des implants cérébraux pour « effacer les souvenirs des soldats et en créer de nouveaux ». La compassion numérique n’a pas de bornes.

Le chapitre « Vers un monde plus sûr », en comparaison avec ce qui se passe à peu près partout, à l’intérieur et, plus encore, à l’extérieur de nos frontières, ressemble à un vœu pieux. La paix planétaire reposait sur l’existence d’un « club » restreint de paix à détenir l’arme nucléaire. La stabilité se fondait sur la Mutually assured destruction avec le bien-nommé sigle MAD. La meilleure protection consiste à se rendre mutuellement vulnérables. Le traité sur les missiles antibalistiques (ABM) consiste à limiter le droit de prendre des mesures défensives contre les missiles à tête nucléaire. Avec le plus grand nombre de pays détenteurs de l’arme nucléaire, la dissuasion risque de perdre de sa force. Nous en sommes à 8 ou 9. 

Un autre chapitre intéressant associe la « montée des inégalités et la mise à mal des classes moyennes. Avec les robots et les algorithmes, le capital (de surcroît virtuel) se substitue de plus en plus au travail. Le marché du travail se polarise autour d’une gamme limitée de compétences techniques.»

Selon un rapport suisse : 50% de la richesse mondiale est détenue par 1% de la population mondiale, la moitié de la population la plus pauvre possède collectivement moins de 1%. Les inégalités de revenus s’amplifient et la proportion de la population qui n’a aucune chance d’accéder à un confort satisfaisant et de donner sens à sa vie diminue régulièrement. Du coup, le risque que les gouvernements aient recours à diverses méthodes pour maintenir la population en situation de soumission s’accroît et se vérifie. L’espace de la vie démocratique se rétrécit. La séparation entre ceux qui s’adaptent et ceux qui refusent l’adaptation se précise. Stephen Hawking, l’astrophysicien, s’interroge : « Si l’impact à court terme de l’IA (Intelligence Artificielle) dépend de qui la contrôle, son impact à long terme dépend de son contrôle selon qu’il est ou non possible (,). ».

Une étude de l’université du Michigan a mis en évidence un recul important de l’empathie chez les étudiants par rapport aux générations de trente ou quarante ans plus anciennes. Parallèlement, 44% des ados ne déconnectent jamais, même à table, en famille et les conversations en face à face sont supplantées par les virtuelles. Les gens ne savent plus véritablement écouter et leur esprit critique s’affaiblit. Les décideurs sont dans l’incapacité de prendre du temps pour lire quoique ce soit d’intelligent tant ils doivent subir de sollicitations multiples. Comme l’énonce un dicton chinois : « Le poisson pourrit par la tête ». Le monde devient plus transparent et il est prouvé qu’un sujet qui se sait observé devient plus conforme.

La partie « Les voies de l’avenir » se veut optimiste. Nous sommes confrontés à de nombreux défis. L’auteur cite :

  • La capacité de comprendre et de mobiliser notre savoir
  • La faculté d’ordonner nos émotions, sentiments et réflexions par rapport à nousmêmes et à autrui
  • La faculté de privilégier le sens éthique des objectifs individuels et collectifs, de créer une ambiance de confiance et de solidarité autour de nous
  • La faculté d’entretenir notre santé et notre bien-être personnel et ceux de notre entourage.

C’est exactement ce à quoi s’applique avec bonheur nos enseignants face à des élèves motivés et captivés.

Plus de 50 pages du livre sont consacrées à des annexes qui analysent, pour chaque mutation constitutive de la quatrième révolution industrielles un « point de bascule où on peut considérer que l’on est passé dans le « nouveau monde », les impacts positifs, les impacts négatifs et les impacts inconnus ou à double-tranchant. Je m’en voudrais de priver les lecteurs des plaisirs de la découverte comparative.

Nous conclurons cette fiche par un message de Joe Bide-Trumpet, créateur et propriétaire du réseau mondial « My private life »

« J’ai le bonheur de vous informer de mon union avec Anabella, la première femmerobot conçue en 4D. Elle réunit mes rêves les plus fous à elle seule. Nous avons échangé nos puces avant de partir pour notre lune de miel sur Pluton. Nous ferons escale à Saturne pour visiter le camp de rééducation destiné aux lecteurs impénitents d’ouvrages-papier. Nous partons munis de notre smartphone implanté. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, j’annonce que 91% de la population mondiale dispose désormais d’un stockage illimité et gratuit de toutes les données grâce à la publicité. Nous avons atteint 1000 milliards de capteurs pour les saisir ! Le gouvernement de

Lilliput vient d’effectuer un recensement de sa population par les seules sources de Big Data. Ses habitants pourront désormais régler leurs impôts avec la monnaie auquel j’ai modestement prêté mon nom, la Bide-Trumpet. » 

Post-scriptum

Nous n’avons pas encore discuté de ce bouquin au sein du trio familial, mais je brûle d’ajouter un commentaire d’ordre général. Mon opinion est que nous vivons sous la dictature du mondialisme impulsé par la finance mondiale et les GAFA venus des USA… Nos amis américains ont cessé depuis longtemps d’être intelligents et nous nous attachons à les singer. Leur Dieu est Wall Street. Ils se prennent pour le Peuple élu, Bible en mains. Ils se permettent de s’identifier au Bien pour imposer leurs intérêts économiques et leur fièvre consommatrice. Pour eux, nous sommes l’Europe des Etats-Unis, une zone commerciale et touristique. Ils poursuivent leur fuite en avant dans les technologies de connexion. Aux USA, comme d’autres pays immenses, les autoroutes règnent comme choix unique. En France, il existe aussi des départementales, des vicinales, des chemins de traverse. Le numérique est une merveilleuse avancée s’il laisse des alternatives et s’il est adapté aux besoins, s’il nous laisse vivre. Le tout numérique à la sauce des GAFA est un désastre humain et écologique. 

Les Grandes puissances, en concurrence avec « l’Islam radical », contribuent à créer des foyers de guerre un peu partout. Elles estiment que la planète doit concurremment leur appartenir. Ce bouquin, comme celui de Pascal Boniface, ne dit pas un traitre mot ce que devrait être la politique de la France et de l’Europe : une politique de non-alignement qui refuse la mise sous tutelle, la surveillance et l’abrutissement généralisé de la population du globe, une politique qui vise l’indépendance en matière d’énergie et le retour d’emplois agricoles et industriels sur le territoire, en lien avec les pays soucieux d’équilibres analogues. Pour cela, il serait nécessaire de revenir à la Politique, le contraire de ce que font ceux qui en ont la charge. Il n’y a qu’à considérer ce qui se dit et ne se dit pas dans les médias et ce qui se fait dans le domaine des addictions.