Vous allez me dire : pourquoi proposer une telle réflexion au groupe orchestre et aux adhérents de l’AREA ? La réponse coule de source. Le hors-sujet fait partie de notre façon de travailler. La problématique alcoolique incite à vivre sans œillères. Compter les verres ou concentrer les échanges sur le boire et le non-boire est le niveau le plus bas dans la façon de procéder. Nous essayons, par les temps qui courent, de privilégier l’esprit critique, plus que jamais malmené. Nul ne peut écarter la préoccupation écologique de sa vie, à moins d’être dénaturé. Nul doute que l’écologie soit une question politique. Raison de plus pour y réfléchir posément et sans passion. J’ai essayé, ces dernières années, de prendre connaissance de quelques ouvrages qui m’avaient été recommandés ou signalés. Je ne crois pas en avoir trouvé un qui suscite une pleine adhésion et m’ouvre l’esprit. Je suppose que cela tient à une divergence d’approche. Hannah Arendt fait une distinction fondamentale entre l’esprit de système et l’esprit systématique. L’esprit de système donne la même réponse à tout, à la façon du buveur qui boit aussi bien quand il est content, désespéré ou qu’il s’ennuie. L’esprit systématique examine le problème sous les angles permis par les différents types de connaissances. Au sein du même champ de connaissances, il existe de nombreuses approches qui s’articulent entre elles selon une hiérarchie qui va du plus décisif au moins déterminant.

Pour une question aussi compliquée que l’avenir de la planète, il me semble que la priorité est d’accorder une place fondamentale à ce que les sciences ont permis de distinguer.

J’ai cru comprendre que le moindre changement d’axe de gravité de la terre autour du soleil pouvait compromettre ou supprimer la vie, dans le sens de la glaciation que la terre a déjà connu ou du réchauffement. Je serais curieux de savoir si les scientifiques peuvent nous renseigner sur ce point. Le réchauffement de la planète est-il concerné par ce type de changement, à l’échelle des derniers siècles ? Si oui, cela signifie que nous ne sommes guère plus maîtres du jeu que les dinosaures qui la peuplèrent.

Autre sujet en débat, sommes-nous oui ou non entrés dans l’anthropocène et pour quelles raisons ? J’ai compris ce que l’on entendait par cette expression : la prolifération humaine et le bond prodigieux des technologies et des consommations constituent des facteurs déterminants du changement climatique. Si oui, cela pose question en premier lieu pour les technologies et en second lieu quant à la densité géographique des populations. Est-il possible de savoir avec précision quels sont les effets sur le climat des technologies dominantes ? Quels sont les choix à privilégier parmi ces différentes technologies ? La prolifération humaine pose plusieurs questions très compliquées. Plus les technologies gagnent du terrain, moins c’est bon pour le climat ; faudrait-il donc les réserver à ceux qui en usent et en abusent ? Plus les gens vivent vieux, plus longtemps ils consomment. Dès lors, quelles sont les raisons du principe de précaution pour les pandémies, des traitements coûteux pour prolonger des vies végétatives ? Pourquoi préférer les drones aux soldats lors des conflits entretenus dans les différents coins de la planète ? Ne faut-il pas voir dans ces choix apparemment moraux des motivations moins nobles : liberticides, économiques et politiques ? 

Les actions écologiques sérieuses et organisées sont mal connues ou ignorées. Pourquoi ne pas en faire des supports d’incitation, plutôt que privilégier les petites phrases des réseaux sociaux et les faits de vie dans les journaux ? A quoi sert de montrer la pollution des plages, les cadavres de poissons ou d’oiseaux, l’amoncellement des emballages plastiques dans des recoins d’océan, si le gouvernement ne donne pas l’élan et le cadre nécessaire à des alternatives ? Que fait-on dès maintenant pour protéger les rivages côtiers de la montée des eaux donnée comme inexorable ? Pourquoi ne pas favoriser visiblement les inventions et les industries qui pourraient changer la donne ?

Nul ne conteste la nécessité de rapprocher les experts des différents pays, notamment les plus pollueurs, pour décider des politiques susceptibles d’enrayer le réchauffement climatique. Quelle est la portée de ces rassemblements médiatisés ? Peut-on imposer aux pays en voie de développement, les restrictions que les pays favorisés refusent avec la dernière énergie ? 

A l’échelle individuelle, peut-on prêcher la vertu aux pauvres alors que les élites ne se refusent aucun déplacement, aucun moyen sophistiqué pour jouir de ce qu’ils décident comme enviables ? 

La question écologique semble l’objet en France d’une triple dilution à l’échelle mondiale, européenne et locale. 

Il n’est pas question de s’opposer à la dilution opérée par le mondialisme financier, aux mouvements de population engendrés par les conflits locaux souvent entretenus par les grandes puissances rivales et par le réchauffement climatique. 

Il est confortable de mettre en avant la législation européenne pour s’interdire d’avoir une politique écologique appropriée, sachant que celleci couvre l’ensemble des champs de la connaissance : politique de l’eau, de l’urbanisme, de l’agriculture et de l’industrie, de la démographie, de la santé, de l’éducation… Les normes opposables devraient servir à combattre l’envahissement du marché intérieur par des produits de mauvaise qualité. Que deviennent l’obsolescence programmée et la politique de récupération des métaux et des terres rares utilisés par la technologie numérique ? 

A-t-on mesuré les effets sur la vie humaine - relationnelle et mentale - des nouvelles avancées technologiques ?

Les initiatives locales ou personnalisées, reprises de la « stratégie du colibri » occupent, tout en infligeant des contraintes supplémentaires peu compatibles avec le sentiment de vivre libres. Le simple bon sens et un minimum d’éducation dispensent de polluer la voie publique. Nous ne sommes pas opposés au tri communal sous réserve qu’il soit efficace et qu’il ne consomme pas du temps. 

Un aspect déplaisant de l’écologie politicienne est de se confondre avec une idéologie urbaine, volontiers interdictrice, pseudo-naturaliste, défendue par une partie de la population des villes. L’homme est un omnivore mais libre à chacun de s’en tenir à une alimentation végétale sans considérer comme des monstres les pêcheurs à la ligne, les chasseurs de sangliers ou les amateurs de fromages. Un dédain des questions écologiques politiques se manifeste dans leur extrême attention à ce qui importe le moins et à une belle indulgence pour les consommations qu’ils s’autorisent ; à moins qu’ils choisissent de se donner en exemples de frugalité plus ou moins masochiste, ce qui ne change rien aux problèmes de fond.

Voilà quelques banalités qui attestent de mon ignorance. Je serai tenté naïvement de croire qu’un consensus pourrait se constituer autour des impératifs écologiques. Je ne demande qu’à être rassuré.