Symbolisme et sens caché
Hervé Priëls
Ed. Dervy
317 pages, 20€
Une proposition de lecture familiale m’a mis l’ouvrage d’Hervé Priëls dans les mains, avec charge de le lire et de le discuter. Mon appétence pour les Fables de La Fontaine et le sous-titre m’ont incité à me mettre au travail.
Avant de m’engager dans cette lecture, j’ai cherché à savoir qui était l’auteur et dans quel courant littéraire ou philosophique, il se reconnaissait. Il vous est facile d’en faire de même. A priori, l’auteur partage mes goûts pour le Fabuliste et pour Le petit prince de Saint-Exupéry. Ses choix philosophiques lui appartiennent, tout comme son parti-pris de rechercher un sens caché « fondamentaliste » aux Fables. J’ai découvert le contenu du livre avec ma propre grille de lecture, bien que dérangé par l’a priori du sens caché. J’ajoute que je me sens étranger dans le monde de l’ésotérisme.
La préface distingue le « savoir » du « monde profane » de la connaissance qui revient - ce n’est pas dit - aux initiés. Nous sommes donc clairement dans une culture maçonnique, avec laquelle je suis familiarisé, ne serait-ce parce que le programme des Alcooliques anonymes s’en inspire fortement.
Nous apprenons, dans l’avertissement, que la fable est un genre plusieurs fois millénaire, qui serait originaire des Indes. Elles auraient comme nom premier celui d’apologue qui signifie « justification » ou « défense ». Les contes des mille et une nuits sont rattachés à ce genre.
La Fontaine précise lui-même :
« Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être.
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui ».
Un des objectifs de la Fable est donc pédagogique.
Comme ajoute l’auteur, ce « qui rend l’auteur tout-à-fait exceptionnel, outre l’effet de mise en scène, c’est le style. Un élément essentiel est de lire chaque vers à voix haute, avec le souci de le « servir sans précipitation ». « Comme des notes de musique, il convient que les idées sous-jacentes transpirent et s’égouttent d’elles-mêmes. » C’est bien dit et, pour ma part, j’accorde de l’importance à la musicalité des phrases que j’écris.
« Une fable bien construite ne livre pas son entière vérité ». Nous pourrions ajouter : tout écrit digne de ce nom ne livre pas immédiatement son entière vérité.
L’auteur relève que la société du XVIIème siècle était « cadenassée » pour assurer l’étanchéité des hiérarchies sociales. L’époque se prêtait donc à ce que Gramsci appela plus tard l’écriture pénitentiaire, l’écriture du double sens identifiable par tous et du sens masqué. La Fable se prête admirablement à cet exercice.
Priëls évoque ensuite ce qu’il nomme « la langue des oiseaux ». « Les sonorités, précise-t-il, doivent résonner d’une manière si particulière que les phrases forment un jeu musical et architectural ». « Tous les détails ont leur portée ; toutes les descriptions sont des preuves, tous les mots sont des pas vers le dénouement. Pas un n’est de trop, et pourtant tout vit, tout se meut avec aisance ; nulle sécheresse, mais aussi nulle redondance » (Prosper Soullié, cité p 32). La langue des oiseaux ? Le rêve de tout écrivain aimant l’écriture !
L’éclosion du Livre I (premier recueil)
La Fontaine possède l’art du rythme. Ses vers s’accordent avec l’émotion qu’ils visent. Ils s’accordent avec une forme de gaité, de légèreté ironique.
Il est précisé que La Fontaine se maria sur l’instance de son père. Ni lui ni son épouse ne se sentirent concernés par les liens noués. La Fontaine n’accordera aucune attention particulière au fils né de cette union qui s’interrompit d’un commun accord douze ans plus tard.
A 31 ans, en 1652, La Fontaine a la charge de maître des eaux et forêts. Il conservera cette charge jusqu’en 1671, restant proche du monde paysan et animalier.
De 1648 à 1653, La Fontaine se range parmi les opposants à Mazarin, du côté de La Fronde et des Huguenots. Il bénéficie du soutien de Nicolas Fouquet jusqu’à la disgrâce de ce dernier en1661. Longtemps, La Fontaine se cherche. Il se laisse aller à des contes licencieux qui ne pouvaient que susciter la colère et la rancune des dévots. Les écrits de La Fontaine doivent tenir compte de la censure. Charles Biet (cité p 50) pose le diagnostic suivant : (Pour La Fontaine) « la question n’est pas d’édifier un droit juste mais de constater qu’il peut être injuste et inopérant. La question n’est pas non plus d’édifier une morale antinaturelle mais une morale qui allie les sens à la raison », fondamentalement personnelle, ce qui rejoint notre propre définition de l’éthique. « La fable est ainsi le lieu le plus propice à la méditation sur le monde ». Elle peut en même temps tenir un discours convenant à la société et le mettre en question sur un mode critique. Nous pouvons imaginer une écriture en prose qui s’inspire de cette présentation des opinions.
Ce n’est qu’à 47 ans, que La Fontaine publie son premier recueil de fables. Il fonde ainsi les archétypes de la culture française : La Cigale et la Fourmi, Le Corbeau et le Renard, La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, Les deux Mulets, Le Loup et le Chien, Le rat des villes et le rat des champs, Le Loup et l’Agneau, La Mort et le Bûcheron, Le Renard et la Cigogne, Le Chêne et le Roseau, parmi les plus célèbres. L’auteur en effectue un commentaire à partir des critères qui sont les siens, notamment le tarot. La plus brutale expression de la force et de l’arbitraire est sans doute celle du Loup et de l’Agneau. Ces fables nous parlent d’autant mieux que nous sommes en situation d’analogies.
D’autres poèmes, moins connus, n’en sont pas moins féroces
« Un homme qui s’aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde Il accusait toujours les miroirs d’être faux. »
Au fil des lectures, nous subissons l’envoûtement des vers plus ou moins descriptifs et sentencieux. N’en déplaise à l’auteur, nous les savourons au premier degré, sans écarter pour autant les commentaires des textes.
Nous arrivons ainsi, de poème en poème, au terme d’un voyage d’initiation à l’esprit critique fondé sur l’observation, le recul face aux passions ordinaires, de moquerie discrète, sans que la hauteur de vue soit exclue. Ce que décrit La Fontaine correspond à « des animaux en mal d’humanité » mais aussi à « des hommes en mal de spiritualité ».
« Agir sur le monde, conclut l’auteur, c’est produire du sens. Le corps n’est rien sans l’esprit qui le guide. » Dans le phénomène addictif, l’esprit est neutralisé, la compulsion se suffit à lui-même. La recherche de satisfaction immédiate et intense, ou d’un soulagement, crée du non-sens. L’Intelligence devient accessoire. Elle se réduit à trouver des procédés pour obtenir des effets.
« Sous le manteau d’apparat de l’homme éduqué se cache l’être premier, barbare ou puéril, mesquin ou crédule, vil ou (réellement) respectable ». « Le premier travail d’un intellectuel » est de donner à penser, non pour paraître et briller, mais pour comprendre et agir en conscience. L’intérêt d’une vie est de lier la réflexion et l’action par le biais des projets et de leur mise en œuvre. Sans « un enseignement continu et tempéré », dans un effort de distanciation bienveillant, l’avenir ne peut prendre que la forme du chaos, induit par l’hubris humain, cette insupportable prétention à se situer au-dessus de la nature et de ses lois.
À « l’esthétique des vers, l’ingéniosité des situations, la justesse des sentiments », s’ajoute une « étrange verticalité des propos qui nous entraînent vers un au-delà de nous-mêmes »