Evelyne HEYER
CHAMPS Sciences
12€, 344 pages utiles
Il n’est pas certain que l’Odyssée des gènes fasse autant rêver que celle d’Ulysse. L’ouvrage proposé par Evelyne Heyer se lit cependant jusqu’à la fin, avec intérêt.
- 7 millions d’années
Nous apprenons que nous sommes cousins des gorilles, des orangs-outangs, des babouins et, plus encore, des bonobos et des chimpanzés. Notre parenté est prouvée par le codage génétique de l’ADN. Quatre molécules azotées, désignées par les lettres ACTG (Adénine, Cytosine, Thiamine, Guanine) liées entre elles, constituent un nucléotide. L’ADN est un chapelet de nucléotides. Toutes les formes de vie sur Terre sont des descendants d’une molécule apparue autour de 3,5 milliards d’années. Notre ADN est semblable à celui du Chimpanzé à 98,8%. Le marsupilami identifié par André Franquin n’est pas mentionné : « houba, houba, hop ! ». Nous sommes identiques à 99,9%, nous les humains.
Chaque individu porte 70 à 100 mutations par rapport à ses géniteurs. Toutes ne « s’expriment » pas.
Des croisements entre deux espèces proches peuvent survenir jusqu’à ce qu’une différenciation décourage le rapprochement.
Les caractéristiques humaines les plus évidentes sont la bipédie, un gros cerveau, un langage complexe.
Le cerveau humain, à la naissance, est plus immature que celui du cerveau des autres primates : 23% à la naissance contre 40% pour le bébé chimpanzé. Nous sommes adultes vers les 15 ans, ce qui souligne au passage l’importance des interactions affectives, éducatives et sociétales tout au long de cette période.
Une différence majeure entre hommes et chimpanzés est imagée ainsi : « La photo d’une famille chimpanzé n’aurait rien à voir avec celle que l’on peut retrouver sur nos cheminées : la première montrerait des femelles toutes en âge de se reproduire et qui n’élèvent qu’un petit à la fois, la seconde des femmes âgées sans enfant à charge, entourées de jeunes mères qui en élèvent plusieurs d’âges variés ». En dehors de certains cétacés, précise l’auteure, il n’y a que l’espèce humaine qui voit les femmes « durer » au-delà de la période de reproduction. Nous savons même qu’elles durent en moyenne de 5 à 7 ans de plus que les hommes !
L’évolution des espèces n’est pas linéaire mais buissonnante.
Peu de gènes sont le fruit d’une adaptation.
L’homme moderne, au même titre qu’une libellule ou qu’un éléphant, serait le fruit du hasard.
- 2,2 millions à - 1,8 millions d’années : La première sortie d’Afrique
Nous sommes tous originaires d’Afrique. C’est dur pour ceux acquis à la supériorité de la race aryenne ou de toute autre « race », blanche, jaune ou à pois bleus mais c’est, ainsi, nos codes génétiques et les recherches paléontologiques en font foi.
Deux types d’hommes primitifs ont été isolés sur notre continent euroasiatique : l’homo erectus et l’homo habilis. Il est plus facile de se servir de ses mains en position verticale qu’à quatre pattes.
Quoiqu’il soit, les scientifiques s’interrogent sur les raisons de ces migrations.
Les groupes d’hominidés n’étaient pas nombreux. Des moyens de subsistance étaient disponibles, même s’ils arrivaient qu’ils soient eux-mêmes des moyens de subsistance pour des animaux carnassiers.
La découverte d’un biface, outil symétrique, dans un quartier de la ville d’Amiens, monte l’accès à une pensée symbolique, à une capacité d’abstraction.
- 300000 ans à – 200000 ans : La naissance de l’homme moderne
Si les premiers homo-sapiens sont tous africains, il est établi qu’il n’y a pas eu d’origine unique dans ce continent. Il s’est trouvé des homo sapiens au Maghreb, en Afrique du Sud, en Afrique de l’Est. Et pas de marsupilami. Les généticiens ont pu commencer par analyse l’ADN mitochondrial. Pour rappel, les mitochondries sont des organites cellulaires qui véhiculent de l’énergie. Il a été possible de dater notre ancêtre féminin à partir de l’ADN mitochondrial : une « Eve mitochondriale » ! Cette belle (?) inconnue aurait aujourd’hui entre 150000 et 200000 ans.
- 100000 ans à – 70000 ans : à l’aventure hors d’Afrique.
Ce qui a de bien avec les généticiens, c’est que le temps passe vite.
Des petites colonies, de déplacement en déplacement, vont rejoindre le continent par le Moyen-Orient. Parmi elles, des chasseurs-cueilleurs de l’Afrique du Sud-Ouest dont beaucoup parlent des langues à clic, tel le héros du film Les Dieux sont tombés sur la tête. L’aventure s’est faite par « effets fondateurs successifs ». Les déplacements sont évalués à 30000 ans pour 3000km.
- 70000 ans : Apparition de l’homme de Néandertal !
Ce coquin a été identifié à quelques kilomètres de Düsseldorf, la ville de M le Maudit, à la suite de travaux dans une carrière calcaire. Il est robuste. Il enterre ses morts, fabrique des outils, a des qualités de chasseur et il vit en bande. Son crâne est plus volumineux que le sapiens, avec une forme évoquant un ballon de rugby. Il a un bourrelet sus-orbitaire prononcé au-dessus des orbites et il n’a pas de menton. Son patrimoine génétique s’est révélé de qualité inférieure à celui de sapiens. Néandertal supportait le froid, le moindre ensoleillement ( ou « un ensoleillement modéré » ? ). Il disposait de capacités de résistance immunitaire et pourtant, la variété s’est éteinte. La consanguinité a été avancée comme explication. Sapiens s’est imposé.
- 50000 ans : La colonisation de l’Australie
James Cook a mis le pied en Australie en 1770 pour annexer ce continent à l’Angleterre. Les aborigènes ont subi les pires misères de leurs colonisateurs. Une mèche de cheveux donnée en 1920 à un paléogénéticien du nom de Willerslev a permis, pour la première fois, l’analyse complète du noyau cellulaire. Les aborigènes sont les descendants des sapiens mélangés avec les Néandertaliens au Moyen Orient. Longtemps L’Australie, la Tasmanie et la Nouvelle-Guinée ne faisaient qu’un seul continent. Par la suite, il a été possible d’aller d’île en île, les montagnes fournissant un repère aux navigateurs de la préhistoire.
- 60000 ans : Les ancêtres des Pygmées en Afrique
Les Pygmées constituent un ensemble disparate de chasseurs-cueilleurs sur une sorte de large écharpe s’étant du Gabon à l’Ouganda. Ils mesurent environ 1m50 pour les hommes. Chaque groupe a son langage. Les pères s’occuperaient bien des enfants. Ils constituent une société plutôt égalitaire. Les femmes s’invitent à la chasse, à l’exception de celle de l’éléphant. Les Pygmées ont une bonne connaissance de l’effet médicinal de certaines plantes. Ils se révèlent des musiciens hors pair, chant et répertoire musicaux. Ils maîtrisent, bien avant Jean-Sébastien Bach, l’art du contrepoint, de l’association d’une double ligne mélodique.
- 40000 ans : Homo sapiens arrive en Europe
Homo sapiens arrive en Europe, avec comme témoigne en Dordogne, l’homme de Cro-Magnon. Ce sont toujours des chasseurs-cueilleurs. Ils fabriquent des objets élaborés et attestent de leurs aptitudes picturales sur les parois de grotte, telle la « Vénus de Lespugue » aux formes plantureuses.
Les Européens d’alors avaient une peau foncée et des yeux bleus. La mélanine est un pigment qui protège des rayonnements ultraviolets qui détruisent l’embryogenèse du système nerveux et la spermatogenèse. Cependant, dans les zones de moindre ensoleillement, cette pigmentation devient moins utile car elle entrave la synthèse de la vitamine D, favorisant le rachitisme. Le gradient des couleurs de peau suite la carte de l’ensoleillement. La mélanine intervient aussi dans la couleur des cheveux, des poils et des yeux. Il existe deux sortes de mélanine, l’eumélanine qui intervient dans la couleur de peau foncée et la phéomélanine dont la couleur va du jaune au rouge. La rousseur dispose d’un gène spécifique, le MCIR.
L’auteure a effectué plusieurs missions qui valident l’existence d’une grande vague migratoire de l’Asie vers l’Ouest de l’Eurasie. L’Asie centrale est un mille-feuille d’histoires de migrations.
- 15000 ans : La vraie découverte de l’Amérique
Quand Christophe Colomb débarque à Cuba en 1492, l’île est peuplée d’Amérindiens. Les premiers Américains sont venus de Sibérie par le détroit de Béring. Ils ont progressé le long des côtes et par la vallée du Colorado.
Quand Magellan découvre l’archipel de l’extrême pointe de l’Amérique du Sud, la Terre de Feu, froide et battue par les vents, il y découvre des hommes capables de plonger dans l’eau glacée pour attraper des poissons. Ces populations ne résistèrent pas aux maladies importées d’Europe. Il semblerait qu’un peuplement ait pu s’opérer à partir de la lointaine Polynésie.
Les populations ont dû s’adapter à des environnements très dissemblables. Ainsi les habitants des Andes se sont adaptées à l’Arsenic présent dans les eaux d’origine volcanique, par l’effet d’une mutation sur le chromosome 10.
Je fais l’impasse sur les moyens permettant de situer dans le temps un ancêtre commun entre deux individus (p 130 à 132). À chacun son métier. Les calculs actuels seraient impossibles sans l’intelligence artificielle.
- 10000 ans : L’invention de l’agriculture et de l’élevage
L’apparition de l’agriculture et de l’élevage correspond au néolithique.
L’auteure décrit un jour de marché près de l’Himalaya. Elle nous apprend que les abricots et d’autres fruits comme les pommes ou les cerises sont cultivées et cueillies en Ouzbékistan.
Elle rappelle les précédents épisodes de réchauffements climatique. La disparition des mammouths, la constitution de zones tempérées qui ont permis aux populations de se sédentariser, de croître, de mettre en œuvre des cultures : le millet, le long du Fleuve jaune, le riz sur les bords du Fleuve bleu (Yangzi Jiang), le maïs en Amérique centrale, les pommes de terre en Amérique du Sud, les tomates dans les Andes, l’aubergine en Equateur, la banane en Nouvelle Guinée…
Moutons, chèvres, cochons et vaches ont pu nourrir directement et indirectement les populations d’humains.
Les labours n’existent pas encore.
- 6500 à – 5000 ans : L’homme se met à boire du lait.
Encore faut-il disposer d’une lactase pour digérer le lait, ce qui fut obtenu au prix d’une mutation génétique relativement rapide.
Au fil des chapitres, une lassitude saisit le lecteur. À moins d’aimer la culture pour la culture, ces découvertes successives suscitent peu d’échos pour notre présent et les incertitudes qu’il véhicule.
L’âge de la domination
Un chapitre retient notre attention. Il est intitulé « Catholiques versus protestants ». Il est dit (p2129) : « toute population qui procède à une certaine endogamie, qu’elle repose sur la géographie, la langue, la religion ou tout autre trait culturel, va accuser au fil des générations des singularités génétiques. » Ainsi pour le peuple basque.
« Chaque groupe humain a tendance à vouloir se démarquer de ses voisins. Ce peut être une préférence alimentaire, un répertoire de chants, des habits, une langue, une religion ».
Il est question des populations juives, plus loin, du peuplement de l’Islande et des vikings, plus loin encore de Gengis Khan et de ses hordes déferlant eu Europe depuis la Mongolie.
En 1534, le malouin Jacques Cartier fonde la Nouvelle-France au Québec, en remontant le Saint-Laurent, à bord de la Grande Hermine. Le roi XVI envoie 850 filles du Roy, des jeunes filles pauvres qui auront pour mission de peupler la région au sein des 2000 premiers pionniers. L’Eglise incite fortement à la constitution de familles prolifiques. En 1763, la Nouvelle France disparait du fait des envahisseurs anglo-saxons qui associent les protestants anglais et les catholiques irlandais. L’effet fondateur peut être identifié. Ainsi, les études généalogique au Québec montre que les descendants d’un seul couple, Zacharie Cloustier et son épouse apparaissent dans 80% des généalogies des Québécois mariés en 1930 !
Ce chapitre se clôture sur les migrations forcées constituées par l’esclavagisme d’Afrique aux USA. Les gènes codant pour la couleur de peau peuvent très bien ne pas avoir été transmis dans la succession des générations (ou l’inverse !) ce qui peut donner des surprises telles celle qu’a connu Craig Cobb un américain acquis à la supériorité de la « race blanche » chez il a été découvert plus de 14% du stock génétique venait d’Afrique.
Les temps modernes
C’est probablement le chapitre le moins scientifique de l’ouvrage.
L’accent est mis sur les arbres généalogiques.
Plus nous remontons dans les arbres, plus nous trouvons des ancêtres communs. Nous avons quelques chances d’être le descendant de personnages célèbres ou d’obscures canailles.
Les recherches d’ADN par la généalogie ont permis d’identifier des meurtriers.
L’auteure s’interroge sur ce que c’est qu’être Français en soulignant qu’il y a plus de similitudes entre un Alsacien et un Allemand de Francfort qu’entre un Lillois et un Marseillais. Mais nous savons bien, n’est-ce pas, que l’identité nationale et l’identité génétique sont des choses bien différentes.
La génétique n’autorise pas à parler de race et encore moins d’affirmer qu’une ethnie est supérieure à une autre. Tout au plus peut-on relever des aptitudes différentes à rapporter aux conditions de vie qu’aux caractéristiques génétiques.
De même préférer son groupe ne signifie pas souhaiter rabaisser les autres, les dominer ou les haïr.
La génétique n’intervient en rien dans les débats actuels sur les discriminations revendiquées ou subies.
L’humanité est une affaire de migrations, c’est une évidence.
L’exemple de l’extermination des peuples amérindiens par les colons anglophones est unique. Les populations sont nettement plus mélangées en Amérique du Sud, colonisées par les Espagnols ou les Portugais.
Les migrations actuelles s’effectuent à grande distance.
Le dernier chapitre est futuriste puisqu’il se projette à 2100. Au passage, pour expliquer le long cou des girafes, ce seraient celles qui auraient le plus long qui survivraient et elles donneraient naissance à des girafes au long cou à leurs petits. Le livre se termine par quelques chiffres comparatifs. Les gens grandissent et deviennent plus vieux. Il va de soi que c’est la baisse de mortalité infantile et la sécurité des accouchements qui interviennent le plus dans le vieillissement moyen. L’héritage de la taille est génétique à 80% et donc environnemental à 20%. La Sardaigne serait le lieu où se trouvent le plus de centenaires. En Russie, la mortalité s’était développée par l’effondrement du système soviétique et la montée de l’alcoolisme. En augmentant le prix de la Vodka, Poutine a accru l’espérance de vie moyenne de ses concitoyens par cette mesure simple et bénéfique pour le budget de l’Etat.
Tout n’est pas génétique et ce sera le mot de la fin.