SEH-LYNN JIHYUN PARK

Libretto, 2023

10€20, 253 pages

deuxcoreenes

Le sous-titre de ce témoignage à deux voix est inexact puisque Jihyun Park, la Coréenne du Nord, a réussi à s’échapper, après maintes tribulations, avant de faire connaissance avec Seh-Lynn, la Coréenne du Sud, résidant également en Grande-Bretagne. Leur rencontre a donné lieu à ce livre, simple et terrible.

Les deux Coréennes se sont rencontrées pour la première fois en 2004, par le canal d’Amnesty International, à Manchester.

Jihyun est née à Chongjin, une ville côtière. Elle vit avec sa famille dans un immeuble destiné aux mécaniciens « Division mécanique 2 ». L’immeuble est surveillé par madame Choï, membre du Parti communiste de Kim II- sung. Les mamans qui ne travaillent pas participent à l’entretien de l’immeuble. Les appartements sont très mal insonorisés et les occupants parlent à voix basse. Dans chacun d’eux, le portrait de KimII-sung, en bonne place. L’alimentation est sommaire et insuffisante. Jihyun a toujours faim. Assez tôt, elle séjourne chez sa grand-mère paternelle, Halmeoni. Là, elle a, merveille, un œuf par jour en plus de la nourriture de base. Hélas, la grand-mère meurt et Jihyun retourne en ville. 

Jihyun est bonne élève, pleine de vie. Elle clame avec enthousiasme sa reconnaissance à Kim II sung, comme on le lui a appris. Les élèves sont périodiquement invités à effectuer leur autocritique et leurs fautes sont consignées à la façon d’un casier judiciaire.

Sa famille s’agrandit. Jihyun découvre que la société nord-coréenne est stratifiée en classes. Le songbun est un système de catégorisation sociale que le Parti des Travailleurs a mis en place en 1957, à partir de ce que faisaient précisément les individus en 1948, date de la fondation de l’Etat de la Corée de Nord. « Telles des souris mortes écrasées par le poids des mots, tous les élèves écoutaient, silencieux et bouche bée » (p58). Le père est d’une classe supérieure à celle de sa mère. Il s’est mal marié, en quelque sorte. Les Nord-Coréens reçoivent deux fois par mois des cartes de rationnement. Ils ont intérêt à aimer le maïs.

La mère de notre héroïne a le génie du commerce clandestin. Elle commence par une petite affaire de cochons. Elle s’affairera jusqu’au jour où elle sera dénoncée et devra passer en Chine, abandonnant son mari malade.

Les deux Coréennes dialoguent. Elles ont peu à peu le sentiment de devenir des sortes de sœur. L’identité l’emporte, avec l’empathie qui se développe.

Jihuyn continue son histoire qui sera de plus en plus sombre.

Le récit se laisse découvrir. Jihuyn finit par comprendre qu’il faut partir, fuir avec son frère déserteur, pour rejoindre leur mère. Elle laisse aussi son père derrière elle. Elle sera vendue à un chinois alcoolique. Elle s’échappera de cette union forcée pour retourner dans le pays qu’elle a fui et connaître un camp de travail qui aurait pu la tuer à la suite d’une plaie infectée d’une jambe. Elle réussira à s’enfuir avec le fils qu’elle a eu de l’ivrogne (excusez le mot) via la Mongolie. Elle rencontrera dans cette fuite l’homme qu’elle épousera librement cette fois, avec son fils. Elle aura deux autres enfants. Devenue citoyenne britannique, elle militera à Amnesty International et se présentera même à une élection comme candidate du Parti conservateur.

Jihuyn est l’exemple d’une réfugiée politique qui a, pour survivre puis vivre, faire preuve d’une détermination assez rare, rarement retrouvée dans nos contrées confortables. 

Le livre peut se découvrir comme une ode à l’enfance. 

Il pose également la question des caractéristiques identitaires d’un peuple et de ses références culturelles. 

Jihuyn effectue à plusieurs reprises une critique du confucianisme alors que cette philosophie met en avant le respect des rites et la prise en compte de l’expérience. N’est-ce pas son expérience qui lui a permis de remettre en cause l’aliénation du culte de l’être suprême ? Mais, nous-mêmes, occidentaux, ne sommes-nous pas sensibles à l’endoctrinement, au bourrage des crânes, et n’avons-nous pas prouvé, en d’autres temps et même actuellement, notre lâcheté ordinaire ? 

Ce récit met en scène l’absence de liberté, le souci des apparences, la peur de la délation, la distorsion entre le discours officiel et les réalités, l’absence d’éthique individuelle, le rôle de l’argent, la violence des hommes faite aux femmes et aux enfants. 

Le lecteur est partagé entre deux impressions contradictoires. Il peut aussi bien retenir les similitudes de l’oppression étatique, quelles qu’en soient les expressions régionales, et les particularités identitaires d’un peuple, à une période donnée de son histoire. Jihyun Park, la Coréenne du Nord, et Seh-Lynn, la Coréenne du sud, sont proches, une fois écartées les idéologies respectives. 

Le livre ouvre à une réflexion sur les systèmes politiques totalitaires, mais plus encore sur ce qu’il est convenu d’appeler la nature humaine.