Nathan Devers

Albin Michel

20€90  327 pages

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Comme son nom ne l’indique pas, Nathan Devers est le fils d’un couple d’intellectuels sépharades. Il eut très tôt une facilité à apprendre et à maîtriser l’hébreu au point de vouloir être rabbin, dès l’adolescence. Il est devenu, ensuite, professeur de philosophie, après  Normale Sup. Son livre est le récit d’une évolution logique.

J’ai noté au passage des indications qui, à un titre ou à un autre, qu’il m’a paru utile de dégager de ce récit non chronologique. Que les lecteurs juifs pardonnent l’inculture que j’essaie d’atténuer par telle ou telle annotation.

Le Yom Kippour ou jour du Grand Pardon est un jour à part, auquel participent juifs croyants et athées. Remarque : il existe d’autres événements religieux qui réunissent croyants, agnostiques et athées. Ils n’ont cependant pas un caractère d’obligation.

Auteuil : la Jérusalem des Juifs assimilés.

Généalogie : « comprendre ce que j’ai fait de ce que les autres ont fait de moi » (p31)

« Dieu existe, certes, mais en tant que question » p 56

« Les bilingues, quel pouvoir incarnent-ils sinon du dédoublement des songes » (p61)

Un juif pratiquant doit composer avec 613 commandements (P138). Faut-il voir dans cette extrême ritualisation du quotidien, et de ce qu’il en reste dans l’inconscient culturel juif, une explication à l’extrême rareté de l’alcoolisme dans la population juive ?

Paradoxe judicieux, cette maxime des Proverbes « Éduque l’enfant selon son propre chemin » (p138)

Technique d’intervention du rav (rabbin) Kotmel qui influencera l’auteur alors adolescent : prononcer les premières phrases d’une voix à peine audible, moyen très efficace (employé aussi par mon propre prof de philo) pour que le silence se fasse. À relever également la voix monocorde, les phrases à rallonge, avec des pauses, les digressions, les « hors-sujets »… Au bout de quelques minutes, ne restaient éveillés que ceux qui étaient là pour écouter et réfléchir. (p158)

La pensée juive ne reflète aucune géographie, sinon le territoire de ses propres symboles (p160)

« Je suis d’accord avec ta question » (rav Kotmel) (p164)

À propos de l’art oratoire : « des propos clairs, des raisonnements solides. Un orateur est quelqu’un qui n’a pas peur d’haranguer ses meubles . La réthorique est un art de timides, d’autistes et de mégalomanes : elle suppose d’être nul en dialogue. C’est une question de voix haute et debout. L’élocution fluidifie ce qu’on pense. À croire que les idées ont besoin de résonner pour dévoiler leur vrai visage. (p168-169). Le privilège de l’oral sur l’écrit : il n’en subsiste rien. Renonçant à capturer la vérité autant qu’à se conserver dans la mémoire, ils ne valent guère davantage qu’un murmure éphémère. (p171)

Les juifs apostats le plus marquants : Spinoza, Marx, Freud. Le rav Kotmel critique les rabbins de leur époque respective : «bornés, supertitieux, fermés à la réflexion » (p174)

Devers oppose alors ses deux écoles, la républicaine, à savoir le lycée Jean-Baptiste Say, et l’établissement qu’il rejoint, à Paris (au Kremlin-Malabry), pour une question d’usage du samedi : le lycée Betham, un établissement « d’intégrisme obtus » (p184) un mélange de Tartuffes fanatiques, le judaïsme de l’entre-soi et du repli identitaire (p186). Chacun devrait méditer cette analyse pour les différentes croyances en cours, y compris non religieuses.

Il décrit sa rencontre avec le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, dont nous avons résumé le dernier ouvrage.

Selon le sens commun, la naissance et la mort sont les deux bornes de l’existence humaine, ce sont aussi les instants que le sujet ne maîtrise pas, selon l’auteur (p212).

Arrive alors le point critique dans la foi du juif Nathan Devers, avec la lecture de l’Ecclé  siaste dont l’auteur serait un incertain Qohelet qui signifie, paradoxalement, « Rassembleur » en hébreu. Pourtant « aucune voix n’est plus solitaire que la sienne » (p212). « L’être est vanité » ; « Depuis les origines (l’homme) veut se distinguer, comprendre ce qu’il voit. Sa mort commence à sa naissance. L’Histoire elle-même se noie dans la nature et la nature se tait.

Qohelet observe la folie avec son œil de sage ; soudain, la sagesse elle-même, perçue sous l’angle de la démence, cesse d’être assurée. Il adopte le regard des maltraités pour décoder le mensonges du pouvoir. Il examine les douleurs du peuple qui gémit et les opprimés qui pleurent. Mais quittant la foule pour l’observer d’en haut, il décèle sa bêtise. Qohelet rédige l’éloge de l’amour autant que sa condamnation : c’est une rouerie dont le mensonge est vrai. (p223)

« Vanité des vanités ». Qohelet «décrit un tableau désespérant de notre condition… Un mot, un seul, pour servir d’exutoire à la lucidité : « Dieu » (p225). L’Ecclésiaste s’attachait, non à exprimer l’angoisse infinie d’un être tourmenté, mais à montrer comment naissent les religions, à retracer la généalogie du sentiment de Dieu » (p225) « Dieu existe parce que nous en avons besoin pour sublimer et mystifier l’aventure de l’humain ». L’Ecclésiaste « dynamitait la Bible », et tous le textes sacrés.  (p227)

Logiquement, Nathan Devers perd la foi.

« Non à ce conditionnement résultant du hasard.

« Non à ce confort d’espérer que la Vérité me fût livrée au berceau. »

« Non à cette facilité de tenir mon identité pour le centre du monde.

« Ma religion n’était-elle pas le simple phénomène de ma propre naissance ? »

« Et si la Torah était une œuvre historique, rédigée par des humains au même titre que l’Iliade ou l’Odyssée ? (p231)

« Ce sont les livres qui lient( ou LISENT ? ) à l’intérieur des hommes. Leurs phrases sont des miroirs (p235)

« Quitter (la religion) n’est-ce pas un exode de plus ? » (p237)

« La vie n’avait pas de sens en soi » (p246)

Les foules mettent à mort ceux qui les dérangent : « N’est-elle pas profonde, souterraine, cette pulsion qui conduit à éliminer les chercheurs de vérités ? La vérité, les sociétés ne s’efforcent-elles pas de s’en protéger à tout prix ? (p255)

« Cette superficialité de l’éloquence qui, comme toute séduction, te fait oublier combien la beauté ment » (p257)

À propos des sceptique grecs (Pyrrhon, Sextus empiricus) : des êtres qui refusèrent de donner libre cours aux illusions que charrie la raison. (p274).

« Ne pas se laisser rattraper par le désir de donner du sens à ce qui n’en a pas » (p309)

« La philosophie n’est pas le contraire de la religion, ni de toute espérance. Elle trace la même quête sur une voie ouverte. Elle est artiste sous ses allures de juge. Ce qu’elle casse, elle ne l’abandonne pas. Elle est aussi flamme, appel d’élévation. Marchons à notre quête, depuis et vers la nuit. L’existence est ici » (p326)