5 décembre 2022
Proposer un échange sur l’élaboration mentale est un choix aventureux, même s’il intervient au sein de notre groupe de parole. Pour ma part, j’ai mis du temps avant de m’atteler à sa présentation.
Avant d’essayer d’aborder le thème positivement, il est peut-être plus simple de noter ce qui, dans le discours et dans les conduites, s’en distingue.
Nous admettrons, sans difficulté, que deux modalités de comportement, au moins, ne font pas intervenir d’élaboration mentale : les passages à l’acte et l’acte compulsif. Ce dernier peut être masqué par des raisonnements, des rationalisations, mais, fondamentalement, il fait l’économie d’une élaboration mentale. Les passages à l’acte, souvent facilités par la prise préalable d’une substance psychoactive, font également l’économie d’une élaboration mentale. Les faits divers en sont friands. Le délire psychotique est souvent en cause. Un cerveau abimé par une maladie dégénérative ou, hélas, par l’alcoolisme chronique, n’élabore plus véritablement. Les camisoles chimiques ont un rôle complémentaire ou même exclusif.
Le défaut d’élaboration mentale se retrouve avec les états émotionnels collectifs. À ce sujet, l’ouvrage de Gustave Le Bon, « Psychologie des foules » (Edition Les atemporels, 2019) est très éclairant. Il estimait à la fois que les foules étaient incapables d’intégrer un message complexe et qu’elle répondait plutôt bien à des suggestions chargées d’émotions intenses (La fabrique du consentement, chapitre I.3 de mon manuscrit à paraître). L’ensemble de ce chapitre est dédié à l’anesthésie de l’esprit critique. Toute la première partie du manuscrit s’applique à mettre en évidence les raisons de l’altération de l’élaboration mentale.
Tout discours ne véhicule pas d’élaboration mentale. Le psittacisme est l’exemple le plus pur d’une parole coupée de toute signification. Un mainate peut vous saluer d’un bonjour bien timbré, sans que son cerveau ne comprenne le mot. Dans une situation de rencontre, le mainate (ou le perroquet gris du Gabon) dit « bonjour ». Il peut même répéter son « bonjour » sans raison, par pur plaisir, pour s’entendre le dire.
Tout n’est pas aussi simple. Il se rencontre des personnes qui prennent plaisir à parler pour prouver qu’elles ont quelque chose à dire, pour « occuper le terrain ». Les plus consciencieuses d’entre elles écoutent, regardent, lisent, se documentent et finissent par répéter des propos élaborés ailleurs. Si elles taisent leurs sources, elles peuvent faire illusion.
D’autres encore pourraient donner à penser qu’elles pensent, en agrégant à un socle de préjugés des éléments d’actualité qui donnent à leurs obsessions l’aspect du renouvellement. Ainsi une personne qui estime que tout s’explique par une cause unique s’attachera à sélectionner les faits pouvant nourrir sa croyance, sans jamais la nuancer, la relativiser ou la remettre en cause.
Il est de nombreuses situations où il est expressément demandé et même exigé de ne rien élaborer du tout. Il s’agit d’obéir à un ordre, à une consigne, de respecter une procédure, quitte à recommencer s’il y a un « bug ». L’usage du principe de précaution nous dispense ainsi de réfléchir. Il en est de même de toute profession caractérisée par la discipline, dont il est dit qu’elle faisait la force des armées.
Il est des formes d’élaboration mentale qui échappent à la parole explicite, particulièrement les œuvres de création quelle qu’en soit la nature : cuisine, peinture, musique… Toute activité humaine peut s’enrichir d’une part d’élaboration.
La vie relationnelle est potentiellement riche d’élaboration mentale, en dépit des dialogues de sourds. C’est le cadre et l’altérité, le contexte, l’état d’esprit qui peuvent en faire un terreau de créativité. L’alcoologie relationnelle est ainsi à l’origine d’une élaboration mentale permanente, qui se vérifie dans le travail du groupe intégratif.
Voici donc la façon dont je vois l’élaboration mentale. Je n’ai toujours pas lu l’ouvrage-titre de Raphaële Miljkovitch et Caroline Beauvais, publié en 2021 par Masson, dédié à ce thème. Cela finira par arriver.
Une absence non excusée de la part d’un patient, qui ne tardera pas à manifester sa désespérance et à prendre son monde à témoin des manquements dont il faut l’objet, m’a permis de rédiger ces lignes.
Quels sont, de votre point de vue, les principaux obstacles que vous avez rencontrés s’opposant à vos capacités d’élaboration mentale ?