22 mai 2023
Les consultations donnent à de nombreux patients l’occasion d’aborder une question douloureuse : celle des difficultés du dialogue entre générations.
La problématique alcoolique a perturbé pendant des années les relations avec un enfant devenant par la suite un adolescent puis un adulte. Cela étant, et les histoires de personnes alcooliques le montrent bien, les alcooliques sont loin d’avoir le monopole des difficultés et souffrances induites par leur fait. Une différence majeure peut s’établir en fonction de la période considérée : avec, sans et hors alcool. Cette dernière période suppose « une déprogrammation mentale » de l’alcool, selon l’heureuse expression d’une patiente. Elle correspond à une élaboration mentale pertinente, à un changement des représentations antérieures, à la substitution d’une éthique de vie aux normes et modes idéologiques de l’environnement. La nature du contentieux est certes à considérer. Il est nécessaire que le sujet change et que l’entourage le reconnaisse, afin de restaurer les conditions d’un dialogue équilibré entre générations. Il est parfois dit que l’alcoolisme est une maladie à prétextes. Dans un certain nombre de cas, l’enfant devenu adulte continue de rendre responsable le parent de ses propres difficultés à se prendre en main et à assumer ses propres responsabilités. L’alcoolisme passé du parent n’a pas à prendre le statut de prétexte.
Indépendamment des addictions, le dialogue entre générations est sans doute devenu une question difficile. Le dialogue au sein d’une même génération l’est aussi, tant les jugements de valeur sont devenus un tic relationnel sous la forme des like, notamment. La modernité tardive met à disposition des jeunes générations un réseau d’informations, de références et de codes qui échappent aux dialogues entre générations.
L’accent mis sur le récent et le changement perpétuel, stimulés par la logique de consommation, tendent à disqualifier les possibilités de transmission entre générations. Ce dialogue est rendu d’autant plus compliqué qu’un certain nombre de croyances qui fondaient la cohésion sociale se sont plus ou moins effondrée. Il en est ainsi des croyances religieuses, politiques et même identitaires. La confusion qui en résulte ne fait que rendre plus indispensable le dialogue entre générations, non pour opposer l’ancien au nouveau ou le nouveau à l’ancien, d’autant que le nouveau d’aujourd’hui sera certainement l’ancien de demain. Il est puéril de négliger le fait que de l’utile et même de l’indispensable se dégagent des expériences antérieures. Ce phénomène s’appelle la Culture. Cette matrice référentielle fait appel aux différentes sources de connaissance. Elle aide à distinguer les similitudes et les différences.
Cette matrice référentielle pose également des problèmes chez les générations qui ont quitté depuis longtemps le temps de l’adolescence. Les médias, par leur superficialité souvent, et par l’ambiance qu’ils contribuent à établir, contribuent à accroître la confusion. Nombre de livres participent à cette confusion favorisée par les « grandes peurs » (celles des pandémies, du réchauffement climatique, des guerres et des migrations massives, etc…). Dieu est mort, paraît-il, mais l’irrationnel délirant prend de la force. Chaque génération dispose de produits intellectuels de décervelage. Je suis tombé, au hasard d’une consultation, sur un ouvrage vu avec passion par un patient de bon sens, soumis aux dures réalités du quotidien : Fédérations galactiques, rôle et présence sur terre, de Michael E. Salla aux éditions Ariane, que je conseille de feuilleter.
En tant qu’adultes, chargés de responsabilité parentale, nous ne pouvons limiter notre effort d’adaptation à être à l’écoute des jeunes générations ou, attitude plus contestable encore, à les imiter. Nous avons à analyser les contextes et les perspectives du désarroi contemporain et à en tirer des conclusions pratiques. Nous pouvons reconnaitre nos insuffisances et nos erreurs mais comme disait Rivarol : « C’est un terrible avantage de n’avoir rien fait mais il ne faut pas en abuser. » Le dialogue consiste aussi à transmettre l’expérience, à mettre en garde, à inciter à développer le sens critique de chacun, en mettant à plat devant l’enfant, l’adolescent, ou l’adulte ce qui a été compris ainsi que la part des incertitudes. C’est à ce prix, semble-t-il, que peut se fonder une alliance féconde entre générations.
Quelles difficultés et quelles solutions avez-vous rencontrées dans le dialogue avec les autres générations ?