04-09-2023

N’importe quelle thématique offre des correspondances avec le champ des addictions. La question des racines et du déracinement en fournissent une illustration de plus.

Du point de vue alcoologique, l’approche par le prisme des racines a une importance qui a été niée par l’absorption de l’alcoologie dans le cadre de l’addictologie. L’approche neurocomportementale fait l’impasse sur les significations culturelles, identitaires et économiques de la vigne et du vin.

Nous défendons l’idée que le vin ou la bière ou des alcools forts peuvent non obligatoirement susciter ou remplacer des dépendances. Il n’en est pas de même pour les drogues hallucinogènes ou psychostimulantes qui ont pour propriétés recherchées de fidéliser le client en épongeant ses ressources, tout en aggravant ses difficultés psychosociales. Leur commerce se développe dans un cadre transgressif dépourvu de toute signification identitaire, sinon d’arrière-pensées politiques. Le cannabis, de ce point de vue a une place à part, dans la mesure ou il reflète une culture, même s’il fait l’objet d’une répression dans le pays producteur. À bien y regarder, le caractère extensif et contraignant de la dépendance numérique génère des problèmes relationnels et sociétaux qui ajoutent leurs spécificités au handicap des addictions encouragées par les Pouvoirs publics. Tout ceci pour dire que l’alcoologie a des racines culturelles qui justifient une considération particulière pour les personnes devenues dépendantes de l’alcool. Nous pouvons rapprocher la problématique alcoolique des troubles du comportement alimentaire, avec leur statut de solution devenant problème, en révélant des souffrances et des difficultés justifiant une aide appropriée.

Qu’en est-il des racines et du déracinement ? Un auteur comme Amin Maalouf, originaire du Liban et membre de l’Académie Française, a eu la patience et les moyens d’effectuer une recherche généalogique qui lui a permis de découvrir ses ancêtres jusqu’aux premiers temps du christianisme, avant même l’édification de l’Eglise romaine. Pour le commun des mortels, il suffit de savoir que nos ancêtres étaient africains : ils avaient les yeux bleus et une peau de couleur noire. C’est du moins ce qui a été établi par les anthropologues.

Tristan Bernard, qui ignorait tout du séquençage de l’ADN, estimait à propos d’un jeune homme qu’il était le fils de son père ou du moins d’un monsieur disposant de gros sourcils.

Les déracinements sont devenus la norme au fil des vagues migratoires et de la mondialisation heureuse. Quelle importance, au fait, d’être le produit d’un consanguinité ou d’un mélange plus ou moins caractérisé ? Le racisme cultive le mythe des pures origines comme si l’identité se limitait au caractéristique les plus visibles, fussent-elles vestimentaires.

J’avais lu, peu après l’indépendance de l’Algérie, le livre de Marie Cardinal, Au pays de mes racines. À la différence de mon père qui avait construit sa vie sur cette terre, où sa famille s’était fixée pour vivre mieux, je m’étais construit familialement et, tout autant sinon plus, grâce à l’école. Traverser la Méditerranée a été ma manière de rejoindre le pays de mes racines culturelles. En dépit de mes origines généalogiques et géographiques, je ne me sentais ni espagnol ni algérien. La culture française ayant une dimension d’universalité. Les frontières n’avaient qu’un intérêt relatif. Fondamentalement, toute culture était respectable, comme le choix de supporter une équipe. Ce qui l’est moins, à mes yeux a été la bouillie cultuelle déversée par la culture libérale-libertarienne venu de l’Ouest. Mes racines sont Toulousaines par lien affectif. J’aurais pu aussi bien devenir breton, alsacien ou basque en m’enrichissant respectueusement de tout ce qu’aurait pu m’apporter la culture de ces régions, en faisant le tri entre qui pouvait me densifier et ce qui pouvait faire de moi un ectoplasme. J’ai souffert pour mon père, et uniquement pour lui, du déracinement et des discours bien-pensants.

C’est aujourd’hui que je vis un déracinement par l’acculturation néolibérale, la marchandisation de l’environnement, l’anomie des mégapoles, la multiplication des produits addictifs, la dépersonnalisation numérique, la revendication d’identités communautaristes, cette attaque en règle de l’indépendance intellectuelle et du lien social.

Chacun s’exprimera comme il l’entend sur ses racines et ses déracinements, sur ses rapports avec la vigne et le vin.