10-06-2024

La question des deuils est récurrente. « Faire son deuil » fait partie des expressions consacrées.

À tout seigneur, tout honneur : comment faire le deuil de l’alcool ? De quoi précisément s’agit-il de faire le deuil, lorsque le constat de la réalité de la dépendance à l’alcool et des effets préjudiciables de la prise du « premier verre » est devenu indiscutable ? Faut-il parler de deuil quand boire est devenu une suite de malheurs sans fin ?

Sans doute, le fait de se distinguer d’un groupe qui consomme de l’alcool pose-t-il un problème, si l’on traine avec soi une image de bon vivant. Il convient de prendre ce pas de côté comme une première manifestation d’affirmation de soi, de différence. Nous sommes tous différents : quelle découverte !

La seconde difficulté, plus ou moins facile à admettre, est de considérer que la façon de boire d’autrefois, d’avant la consommation à problème, fait partie du passé. Le retour a une consommation ponctuelle purement gastronomique ou hédonique supposerait une révolution du fonctionnement cérébral, éventualité suffisamment rare pour être en devoir d’appliquer le principe de précaution. Jamais, plus jamais ? Quelle interrogation vaine !

N'y a-t-il donc pas de bonnes sensations, à commencer par celle de se sentir libéré de l’alcool ?

Quels sont les deuils associés à la décision de ne plus boire ?

Au-delà des effets pharmacologiques, qui s’épuisent, contre l’anxiété ou le trouble du sommeil, le lien à l’alcool traduit une forme d’insécurité qui va réclamer d’autres solutions : une présence affective, une philosophie de vie appropriée, des investissements équilibrants et épanouissants. Ce n’est, certes, pas facile à mettre en place. Mais il ne s’agit pas de deuils.

Il y a aussi dans l’acte de boire un désir dénié d’autodestruction, un refus de grandir et de voir le monde tel qu’il est.

Un non-deuil peut en cacher un autre. Souvent, le deuil d’un proche ne se fait pas. Il n’est pas élaboré. C’est comme si le disparu n’avait pas transmis le meilleur de lui-même.

Dans La vie est un long fleuve tranquille, le gynécologue, impeccablement joué par Daniel Gelin, ne se console pas d’avoir perdu sa femme qu’il considérait pourtant comme une chaise. Machinalement, au cimetière, il répète lors du défilé des condoléances : « Je ne pourrai jamais la remplacer », y compris quand le tour de sa maîtresse arrive, alors qu’elle relève la voilette qui masque une intense jubilation. Dans la scène finale, cette dernière triomphe, face à la mer. Son gynécologue préféré est enfin à sa disposition, sénile à souhait, dans son fauteuil d’osier.

La liste des deuils non faits est interminable : deuil d’un métier passionnant, qui sait, d’une période d’honneurs et de privilèges, d’années heureuses ou embellies par le souvenir, d’un pays quitté pour de bonnes raisons, deuil de sa jeunesse, de son enfance, de sa beauté (si tant est que)

Une idée reçue assez spéciale consiste à exiger de voir un corps mort pour faire le deuil du vivant qu’il a été.

Certains semblent plus aptes que d’autres à faire leur deuil de ce qu’ils n’ont plus ou de ce qu’ils n’ont jamais eu.

Mon présent est nourri de mon passé et si je parviens à donner sens à mon présent, de quoi souffrirai-je ?

Dois-je regretter ce que je n’ai plus ou plutôt me réjouir de l’avoir eu ou vécu ?

Les deuils font-ils problème chez vous ? Lesquels ?