21-10-2024

 

Le thème des solitudes s’impose au fil des consultations, quel que soit le chemin parcouru pour se détacher des addictions.

Au début du parcours de soin, la personne consultante dispose souvent d’un relationnel plus ou moins diversifié. Il n’est pas garanti que les proches évoluent en harmonie avec les changements amorcés par l’intéressé. L’incompréhension face à une problématique difficile à comprendre et à maitriser, les contentieux de tous ordres qui ont pu se créer, ce qui était masqué par l’addiction, au sein d’un système familial ou amical, aboutissent souvent à clairsemer l’entourage, dans la continuité d’une démarche de soin. La personne qui cesse de boire se trouve en décalage avec l’environnement et ce décalage, si elle n’y prend garde, va s’accentuer à mesure qu’elle évolue dans ses choix de vie. Il en résulte un vécu de solitude.

L’addiction alcoolique n’est pas seule en cause, bien évidemment, dans la population souffrant de solitude. Celle-ci tend à devenir un phénomène généralisé, y compris, chez ceux qui disposent de centaines ou de milliers d’amis « virtuels ». Internet crée l’illusion de s’ouvrir au Monde, alors qu’il en organise l’exclusion. Il est plus facile de disposer de connaissances géopolitiques que de pouvoir compter sur des amis pour un voyage de proximité.

Il devient de plus en plus problématique de pouvoir compter sur une relation affective permettant une complicité, des dialogue sincères et approfondis.

L’activité professionnelle ne garantit pas davantage la sociabilité. Chacun pour soi, dans son open-space et son moyen de déplacement préféré.

Les facteurs limitants et les obstacles ne manquent pas pour réduire la possibilité de rencontres à l’origine de liens de qualité durables.

À l’inverse, la diversification des moyens de communication réduit le temps à soi et la solitude choisie.

Nombre de rencontres ne débouchent sur rien. Le temps semble suspendu. Que faire dans ces conditions ?

Eprouvez-vous le sentiment de solitude ? En souffrez-vous ?

Comment tolérer, atténuer ou réduire le sentiment de solitude ?

Impressions personnelles

Ce n’est pas l’usage mais j’aime autant consigner par écrit mes impressions de solitude. Cela peut toujours servir à ceux qui en prendront connaissance, confrontés également à un mode de vie déshumanisé.

Mon impression de solitude actuelle se vérifie, particulièrement, face à ce que j’appelle la dictature numérique. Je viens de passer deux heures, en compagnie d’une salariée de la CPAM, venue à ma Consultation, pour comprendre les raisons des dysfonctionnements en cascade relevés dans les usages des cartes vitales depuis près de quatre mois. Je vous épargnerai le détail de ce qui a été identifié, des corvées et des frais supplémentaires que l’identification des problèmes va induire. Je peux vous en donner, en revanche, les raisons. Il s’agit bien de considérations financières de la part des entités qui assurent les fonctions de paiement. Le simple déplacement d’un technicien de la société chargée du fonctionnement du lecteur de carte vitale aurait permis d’identifier les problèmes. Je n’ai pu obtenir ce déplacement, malgré mon insistance. La société qui gère numériquement les actes ne s’est pas sentie concernée, non plus. Elle souhaite clairement s’assurer la totalité du procès, au détriment des prestataires historiques qu’elle élimine et qui, malheureusement, se laissent éliminer en n’assurant plus leurs services de proximité. Il y a donc bien un lien direct et déterminant entre la logique « commerciale » des firmes et les dysfonctionnements numériques induits, au détriment des professionnels et des patients.

Mon impression de solitude se retrouve également face aux interlocuteurs publics et privés, concernant ce que nous proposons en termes d’accompagnement, d’hospitalisations brèves et de consultations longues. Ni l’établissement d’accueil, ni l’Agence Régionale de Santé, ni la CPAM en tant qu’institution de référence, ni les Collectivités territoriales, ni les sociétés savantes, ni les grandes entreprises, disposant d’énormes moyens et d’un secteur prévention officiel, ne se sentent concernées par nos propositions, alors même que nombre de ces instances – les plus éclairées – savent que nos innovations sont efficientes. L’explication de leur indifférence est également d’ordre financier : certains veulent gagner plus, d’autres dépenser moins, indépendamment de l’intérêt général et de la nécessité de donner un peu d’espoir aux populations en souffrance.

Mon impression de solitude se vérifie avec des gens qui ne répondent pas à mes sollicitations, pourtant mesurées, justifiées et argumentées, et face à ceux qui, à l’inverse, me sollicitent pour un oui ou pour un non, ou ne respectent pas leurs engagements élémentaires.

Mon impression de solitude s’éprouve face aux conseils et aux alarmes de personnes qui s’expriment sans identifier les différents éléments du problème, enfermées qu’elles sont dans leur propre subjectivité.

Mon impression de solitude s’éveille face aux médias et à la boue qu’elles propagent et étalent.

Mon impression de solitude prend force face aux certitudes et aux idéologies haineuses.

Mon impression de solitude se partage avec des passants dans la rue ou des passagers de métro, zombifiés ou « particularisés ».

Mon impression de solitude se retrouve également avec quelques uns de mes proches arque-boutés sur leurs préjugés et leurs égoïsmes, avec l’indifférence des autres, prompts à coller des étiquettes, car habitués à la pensée paresseuse, dès qu’il ne s’agit plus de leurs préoccupations favorites.

Mon impression de solitude se retrouve aussi – et c’est un phénomène nouveau, au sein même du groupe de parole, ce qui est un comble ! Je constate que le climat d’intolérance et d’incompréhension qui caractérise les relations sociales actuelles, tend à polluer nos échanges et notre réflexion. Il est vital que le groupe fasse vivre un climat de respect mutuel et de dialogue « au centre de la table ».

Et, pourtant, je chéris ma solitude, loin du bruit et de la fureur du monde, plus ou moins partagée avec de rares personnes, aussi imparfaites que moi, capables de comprendre.