Lundi 12 Juin

La plupart des humains excellent dans un ou plusieurs domaines. Une de mes patientes dispose de trois caractéristiques qui émergent de sa personnalité : un sens pratique indiscutable qui lui a permis de se retirer de son cadre professionnel sans dommages pécuniaires et une excellence pour la randonnée en montagne. Surtout – ce qui nous intéresse tous − elle incarne une sorte de perfection dans la formation de pensées négatives. Elle souffre, indiscutablement, d’une addiction à la pensée négative. Il lui est impossible d’émettre la moindre phrase sans qu’une fumée noire se dégage de ses propos. Le plus froid de ses auditeurs ne peut rester longtemps insensible. Les silences même dégagent des sous-entendus lourds de mises en cause et de mécontentement.

Avec son conjoint, également randonneur, elle forme un couple très solide dans le partage de l’insatisfaction. Ma fonction sociale étant d’essayer d’aider les personnes à changer, je bute là sur une contradiction. Quel peut être l’objet du soin ? J’imagine qu’il n’y a guère qu’elle qui peut se risquer à choisir son niveau de mal-être. Je lui ai proposé de constituer la liste de ses pensées négatives, sans en oublier une, si possible. Peut-être la dernière sera : « Je suis certaine d’en oublier ». Elle a eu la gentillesse de m’envoyer une liste manuscrite (que j’ai fait recopier). Je n’ai pas compris pourquoi il lui était impossible de se servir du courriel électronique, puisqu’elle dispose d’un ordinateur à la maison.

Elle m’a promis d’être là. Elle pourra peut-être nous faire un témoignage et une analyse des raisons de sa philosophie.

Je propose à chacun de présenter une ou deux de ses pensées négatives, d’en expliquer les raisons et de nous dire s’il parvient à la surmonter.

Maintenant, place à la championne !

Témoignage

 Relation avec moi-même

Quand j’ai une douleur physique dans mon corps, je n’en vois pas la guérison.

Quand tout va bien je trouve que cela n’est pas normal, que cela ne va pas durer.

Quand j’entends des personnes que je fréquente critiquer d’autres personnes je me dis que c’est ce qu’ils doivent dire et penser de moi.

Je me sens responsable de la mort de ma mère et, pour moi, cette conviction est justifiée (à détailler en séance si besoin)

Quand je ne vais pas trop mal dans ma tête et dans mon corps, je repense à ma mère et cela me rend mal.

J’ai peur quand j’entreprends quelque chose que cela se passe mal.

Quand je mange un aliment que je suis supposé ne pas digérer, je pense que cela va me faire mal avant de le manger.

Quand je prends une décision, ou fait un choix, je pense toujours que j’ai pris la mauvaise décision ou le mauvais choix à l’avance, avant de réaliser l’action.

Relation avec mon mari

Je pense que mon mari me reproche toujours ce qu’il fait pour moi, me faire plaisir (c’est ce qu’il fait)

Je pense que mon mari ne veut pas que je fasse une action avec lui, il provoque une dispute. Ainsi statut quo.

Avec mon mari, quand on passe des moments agréables, je me demande qu’est ce qu’il va bien pouvoir trouver pour gâcher cela.

PS : on n’a pas un seul jour sans qu’il me cherche querelle sans raison valable.

Quand je fais quelque chose sans mon mari, il me dit toujours : « Fais attention de ne pas te faire mal », ou quelque chose dans ce sens. Cela m’induit une peur.

Mon constat à ma relecture 

Ce que je viens d’énoncer, en fait pour moi ce ne sont pas forcément des pensées négatives.

En fait elles découlent du contexte dans lequel je vis, j’ai vécu (famille : parents, mari, il me fait des colères, des caprices chaque fois qu’il ne va pas bien ou que les choses ne se passent pas comme il le voudrait). J’ai été harcelée au travail au point d’y mettre légalement fin.

J’ai vécu l’insécurité dés l’enfance (à détailler en séance si besoin)

Pour moi je n’ai pas de pensées négatives, mais mon attitude fait de moi une victime.

→ Anecdote racontée, arrivée avec mon mari afin de montrer les situations que je n’arrive pas à gérer.

Mon mari se gare devant un panneau de sens interdit de stationner, avant de faire une balade en montagne à la journée, je le lui fais remarquer et demande qu’il déplace la voiture. Il ne manque pas de places autorisées libres. Il ne veut pas. J’insiste. Alors il dit que si je continue on ne fait rien de la journée, ou que je parte seule. Je veux déplacer la voiture, il ne veut pas me laisser faire. Dispute. Enfin après un certain temps, il déplace en colère la voiture et on part se balader.

HG : Ce témoignage ne manque pas d’intérêt. Que signifie-t-il ? La patiente a été culpabilisée dans l’enfance par sa mère qui a pu, ainsi, exercer une relation d’emprise, lourde d’effets pervers. Ainsi, à l’âge adulte, la patiente a recherché et a trouvé une relation qui la fait souffrir. Cette relation remplace l’ancienne relation d’emprise masochiste. Dans la mesure où il existe une problématique de lien insécurisant, La patiente construit ses relations sur ce mode, masochiste mais aussi un peu sadique, pour que le lien soit le plus insatisfaisant possible. Qui plus est, elle a intégré la malveillance sur le mode somatique. Sa mère avait aussi beaucoup de maladies somatiques. Son corps ne cesse de lui renvoyer des douleurs et des malaises à des endroits assez variés et changeants. La patiente n’a pas guéri de son enfance. Elle serait perdue dans une relation détendue et gratifiante.