Lundi 17 février 2020
Un échange sur les grilles de lecture est opportun à ce moment de mise en forme de l’ouvrage « Anesthésie générale ».
En quelques dizaines d’années, les regards portés sur la planète Terre et ses habitants ont terriblement changé. Certaines grilles de lecture du réel ont été effacées, d’autres ont émergé, mais ce qui interroge le plus est l’impression qu’une masse croissante d’individus se dispensent d’essayer de comprendre le monde.Ce qui semble le plus important pour eux, aujourd’hui, est de vivre des émotions, de se satisfaire de l’immédiateté, de jouir sans entraves ni contraintes. Le souci de comprendre la société et le monde pour faire prévaloir l’intérêt général, développer l’harmonie et les équilibres entre les peuples et les êtres a presque disparu. Les métaphysiquesdu « Petit Moi » et de la consommation, parfois contradictoiresse sont imposée, coexistant avec les métaphysiques anciennes. Les sciences elles-mêmes semblent concernées par une métaphysique positiviste : le scientifique se cantonne dans son domaine de prédilection,sans se demander quelle est la logique qui détermine son approche. Un exemple : quand un addictologue réduit la prévention à la gestion des dommages induits par l’alcool et à une protestation formelle face aux manigances des alcooliers, il évite de mettre l’accent sur les autres ‘‘pourquoi’’ des problématiques alcooliques et addictives et sur les failles de l’offre de soin. Il ne constitue pas uneargumentation contradictoire face à la politique de l’Etat. L’élite scientifique contribue à perpétuer le système économique, financier et idéologique en place. Les voix dissonantes sont étouffées ou discrédités par les avis contraires de scientifiques acritiques. Elle va jusqu’à nier le caractère addictogène de nos Sociétés alors qu’elle pourrait être à l’origine d’une critique structurée débouchant sur une prise de conscience politique. Les addictions s’inscrivent dans cette évolution. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de réfléchir aux grilles de lecture elles-mêmes afin de leur redonner leur finalité : celle de comprendre le Monde et ses populations pour les préserver et induire les changements nécessaires.
Autrefois, ces grilles de lecture se construisaient à partir de ce qui était enseigné à l’école, acquises ensuite, pour l’essentiel, par les lectures « critiques ». Il n’était pas difficile d’élargir ses connaissances et de développer une pensée critique, par les interactions entre l’observé et le réfléchi. Un décalage salutaire se constituait, avec son lot d’utopies, également assez souvent nourri par les transmissions familiales et l’expérience du travail socialement utile. Les impératifs de réussite sociale, du paraitre et de la jouissance ont balayé cet effort de construction de grilles d’analyse du réel dont pouvait émerger une éthique de sociabilité. L’idéologie égo-grégaire s’est imposée, à peine dérangée par la montée des périls mis en scène par l’information.
Pour l’addicté, un choix difficile se fait jour, conserver la même conception du monde à l’origine de son addiction ou développer son esprit critique en s’ouvrant à des grilles de lecture nouvelles, en les soumettant elles-mêmes à un examen critique.
Un échange du film « Le jeune Karl Marx » exprime cette idée : Marx, son épouse, Jenny, Engels s’accordent en riant sur l’idée de devoir réaliser une « critique de la critique ‘‘critique’’ ».Du point de vue de Micromégas, le comportement de la jeunesse d’aujourd’hui, d’hier et d’avant-hier dans ses rapports aux addictions peut évoquer les grands aveuglements du passé. Jean de la Fontaine, dans « Les animaux malades de la peste » faisait ce constat : "Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
Bref, quelles sont les grilles de lecture nécessaires selon vous à une vie débarrassée des addictions ?