Lundi 22 Mars 2021
Un des intérêts du courrier par Messagerie est de permettre des échanges, en donnant des idées de thèmes pour le groupe intégratif. Il en est ainsi de « Famille spirituelle ».
L’assemblage de ces deux mots suggère le lien entre quelque chose d’ordre structurel et quelque chose de moins identifiable au premier regard qui relève des affinités de « l’esprit ».
Le fait d’appartenir à une famille au sens classique, à une corporation, à un pays, à une religion, crée une base organique. Son unité suppose une culture partagée, un imaginaire collectif, une éthique commune.
Là est le problème des enclos.
Une famille, quelle qu’elle soit, sans ces trois éléments, n’est qu’un conglomérat d’intérêts partagés ou concurrents, qu’une addition d’habitudes, qu’une histoire commune masquant des non-dits et des secrets qui en constituent le ciment ordinaire.
Nous avons à conquérir sans discontinuer culture, imaginaire et éthique, à partir de nos origines, sans s’y enfermer.
Une famille spirituelle se constitue dans l’adversité. C’est le cas des personnes en difficulté avec l’alcool, à partir du moment où elles comprennent la nécessité d’une culture, d’un imaginaire, d’une éthique qui en constitue une identité distincte et, cependant, ouverte, transcendée.
La question sera : pensez-vous que l’identité de personne alcoolodépendante soit la source d’une identité créatrice ?
Comment déclinez-vous cette identité ?
A titre d’illustration concrète, voici un courrier relatif aux travaux à mener pour tenter de faire sortir « Anesthésie générale » d’une clandestinité contrainte. Au moment de la séance, nous aurons peut-être plus à dire sur cette initiative d’écriture.
Je crois avoir compris qu'il me fallait un texte abouti pour le présenter à quelques éditeurs généralistes. J'ambitionne Le Seuil, peut-être Flammarion. J'attends les suggestions de Jean Henriet. Je suis conscient de mes handicaps de départ. Je n'appartiens pas aux intellectuels ayant pignon sur rue. Je suis provincial, antisystème, et, de surcroît, inclassable. Dans ce sens, mon texte est doublement subversif car il prend plus ou moins à contrepied les différents groupes et sous-groupes bien-pensants. La logique sous-jacente est politique. Il s'agit bien, pour reprendre le vocabulaire de Gramsci, de dessiner les bases d'un bloc historique alternatif, redistribuant toutes les cartes, redonnant l'envie aux acteurs du pays, dont une part des déclassés et des marginalisés, de revenir dans le match. Je remets en cause le darwinisme dicté par la financiarisation du Monde.
J'ai été attentif, lors de ma dernière relecture, à éviter des références inutiles à la gestion de la pandémie, alors que j'ai rédigé l’essentiel du texte pendant ce temps de disponibilité contraint. A présent, le manuscrit a besoin d'un regard neuf, distancié, qui adopte celui de l'éditeur et des lecteurs. Comme l'a dit Jean Henriet, c'est une écriture en contrepoint. C'est beaucoup plus qu'un journal de bord. Il y a plusieurs niveaux qui s'articulent entre eux. L'écriture reflète ma façon de travailler avec les patients et notamment le type de travail que je mène avec eux au sein de mon groupe intégratif. J'essaie, en quelque sorte, d'amener le lecteur à s'asseoir autour de la table, à réfléchir, à développer un dialogue intérieur, à s'interroger sur la marche du monde quand le thème étudié est un aspect de la problématique alcoolique et, inversement, quand il s'agit d'un chapitre traitant d'une thématique plus générale, à considérer la problématique alcoolique sous cet angle. Le groupe intégratif et l'association ont, par mon intermédiaire, une vocation résolument pédagogique, éthique et politique. Nous publions des fiches de livres "compliqués", des fiches de films utiles à la réflexion. Il est normal que l'écriture de l'ouvrage le reflète. Parfois, nous ne sommes pas loin de la matière brute. Il se trouve des extraits de fiches, des fragments d'échanges en réunion. Je reviens sur quelques épisodes de ma vie car tout se tient dans mon écriture. C'est un livre de transmission que je destine à la génération de mes petits-enfants. Leurs générations (de 6 ans à 25 ans) vont devoir faire la révolution sur les décombres des erreurs et des renoncements de leurs parents et grands-parents. Je remercierai ceux qui ont adhéré aux orientations de l'AREA, de m'avoir maintenu en vie.
Récemment, divine surprise, mon cher ami, le clinicien alcoologue François Gonnet, m'a fait le cadeau d'une carte de vœux avec un superbe dessin de lièvre. Une opération l'avait rendu tétraplégique deux ou trois ans auparavant, et ce dessin a pris une valeur exceptionnelle, en termes de résilience. Je l'ai chargé d'animer le manuscrit de dessins pour lui donner une profondeur d'ironie légère. Il dispose de deux sources dont des gravures de Gustave Doré. Le manuscrit deviendra ainsi l'œuvre de deux cliniciens qui ont partagé leurs savoirs.
La conclusion est volontairement tronquée. Je peux ajouter quelques lignes tirées de cet envoi. Cette longue - et j'espère utile - digression pour vous dire "d'articuler", de faire des propositions d'allègement, de façon à aimer et à faire aimer ce livre, y compris aux rétifs.
HG