Réalisateur : Ken Loach
Scenario : Paul Laverty
Date : 2023 GB / France /Belgique Durée : 113 mn
Langues : Anglais ou arabe Sous-titrage : Français Acteurs principaux :
Dave Turner : Ballantyne Ebla Mari : Yara
Claire Rodgerson : Laura
Charlie : Trevoir Fox
A/SA/HA
Mots-clés :
Misère sociale – réfugiés – solidarité – idéologie - manipulation
Ken Loach n’en finit pas d’annoncer qu’il s’agit de son dernier film, encore et toujours scénarisé par Paul Laverty. Il n’en finit pas de décrire la disparition des ouvriers britanniques comme entité sociale réflexive, capable de porter un projet politique. Les ex-mineurs de charbon mis en histoire sont vieux, aigris et possiblement alcooliques. Quelques-uns se réunissent dans l’unique lieu de rapprochement de la bourgade minière, un vieux bar délabré, « Le vieux chêne » appartenant à un ancien mineur reconverti, T-J Ballantyne (un i à la place du y et c’était une marque de whisky). Le village voit débarquer avec hostilité un car de réfugiés syriens, de ceux dont les beaux-quartiers de Londres ne veulent pas, commente un habitué du bar. Ils vont occuper des maisons vides rachetées à bas prix par des associations financées sur fonds publics. Un beau garçon portant un maillot de footballeur bouscule Yara, une jeune femme syrienne après qu’elle l’a photographié, à la descente du car. L’appareil tombe et se casse. L’histoire peut commencer.
D’emblée, TJ Ballantyne, le propriétaire du pub se montre bienveillant à l’égard des nouveaux venus. Yara demande en vain que son appareil soit réparé aux frais de son agresseur. Ballantyne trouve le moyen d'aider Yara à réparer son précieux appareil photo, après lui avoir fait visiter une arrièresalle encombrée et désaffectée aux murs couverts de photographies imageant les heures combatives ou tragiques des mineurs. Il propose deux vieux appareils de son père, l’auteur des photos murales, contre un presque neuf, semblable à celui de Yara. C’est le commencement d’une amitié.
L'arrière-salle du Old Oak est la seule salle de la petite ville susceptible d'accueillir des réunions. La plomberie et l'électricité ne sont plus fonctionnelles. Il en est de même des conditions de sécurité. Ballantyne refuse de la prêter à un de ces copains d’école qui la voudrait pour organiser une réunion destinée à statuer sur l'arrivée des réfugiés.
Yara se fait remarquer par ses talents de photographe. Ses clichés documentant la vie quotidienne de la petite ville plaisent beaucoup. Des aides humanitaires affluent. Dans le but de rapprocher les communautés, Yara et Laura, une bénévole, affectée à l'aide aux réfugiés, obtiennent l’accord de Ballantyne pour organiser des repas gratuits dans l'arrière-salle du pub, proposés à ceux qui ont faim, anglais compris. Informés, de nombreux habitants participent à la remise en état, main dans la main avec des Syriens. Les habitués du bar sont révoltés que la salle qui leur a été refusée leur soit ainsi mise à disposition.
L’histoire continue. La famille de Yara apporte un couscous garni de viande à Ballantyne qui se régale. Bien des événements surviendront avant le happy end sous la forme d’un défilé mélangeant les populations derrière la bannière d’un chêne créée par des artistes syriens soulignée par une inscription en arabe.
Que penser de ce film ?
Il est d’abord possible de s’intéresser au sort des Syriens. Il n’est pas donné à tout le monde de comprendre la situation politique de leur pays déchiré depuis sa création, en 1948, par les conflits ethniques et confessionnels. Les Frères musulmans y sont très actifs et les populations sont prises en otage de part et d’autre, tout en subissant la violence arbitraire du Pouvoir et l’extrême pauvreté entretenue par l’état de guerre civile.
Le spectateur tant soit peu critique comprend assez vite au fil du déroulement du récit, qu’il est en présence d’un film à valeur idéologique ajoutée. Les Syriens sont polis, ouverts, entreprenants, serviables, reconnaissants. Yara, bien que musulmane, est habillée à l’européenne. Elle n’hésite pas à entrer dans la superbe cathédrale du lieu, à écouter, recueillie, une chorale. Sa mère dispose de tout le nécessaire pour offrir le thé et les gâteaux à leur ami Ballantyne. Elle peut de même offrir le couscous avec de la viande, alors que le temps d’installer une boucherie hallal dans ce coin désolé de l’Angleterre a manqué. Lorsque parvient la nouvelle de la mort du père de Yara, emprisonné en Syrie, la presque totalité de la population locale apporte, en débordant d’émotions, une multitude de cadeaux à la famille, fleurs, poupées et autres manifestations de compassion. Charlie, lui-même, au prénom prédestiné vient faire amende honorable, alors qu’il a été à l’origine du sabotage de l’arrière-salle du bar pour incriminer les Syriens associés à sa mise en l’état. À un moment, Yara parle de ses enfants, alors qu’il n’a jamais été question d’un époux.
Il se dégage une impression de malaise de ce film, en dépit de ce que nous pensons de l’œuvre de Ken Loach. Nous ne pouvons pas nous interdire de le rapprocher de l’ouvrage exigeant de Florence BergeaudBlackler sur le Frérisme musulman et sur le fait que des fonds européens participent à la construction d’un nouvel imaginaire européen. Les Syriens réfugiés sont éminemment respectables et avec eux les diverses populations qui s’invitent à peupler l’Europe. Nous avons cependant à garder en éveil notre esprit critique en l’appliquant aux différentes forces qui visent à supprimer des siècles de culture européenne pour faire de cette partie de la planète un champ libre de résistance au néolibéralisme apatride. Celui-ci a l’art de provoquer des conflits sans fin dans toutes les parties du monde où il peut sévir. Nous avons mis deux siècles, en France, au sein de la chrétienté, à sortir des guerres de religion. Nous avons appris à vivre nos différences, sans faire d’histoires. Les vieilles générations constatent avec un certain effroi la tournure que donne la Modernité tardive au « Vivre ensemble ». Nous constatons le désastre constitué mentalement et socialement par le mépris croissant pour le travail, le lien social, la mémoire et la culture critique, fondamentalement agnostique. La trahison des élites françaises, européennes et mondiales n’a d’égal que leur aveuglement volontaire. Elles ont, hélas, déclaré la guerre aux populations qu’elles opposent avec une inconscience et un cynique achevés. Tout est bon pour asseoir leurs pouvoirs, leurs plaisirs et leur logique opposée à l’intérêt général. Il ne leur vient pas à l’esprit que chacun devrait apprendre à le décliner.