Cynthia Fleury
Tracts n°6 Gallimard
43 pages, 3€90
Cynthia Fleury a été philosophe puis elle est devenue psychanalyste. Elle est titulaire de la chaire « Humanité et santé » au Conservatoire National des arts et métiers.
J’ai lu puis souligné les passages de son Tract. Je consigne ce que j’ai relevé, sans prétendre effectuer un quelconque résumé.
Elle relève dans sa brève introduction « la trace d’une vraie usure » dans le présent de notre pays. J’aurais plutôt employé le mot « pourrissement » ou encore, selon la trouvaille géniale d’une patiente « la fatigue de ne pouvoir être soi ».
Elle commence par citer Marx qui évoque « l’incurie, le manque de soin que les individus s’infligent à eux-mêmes et aux autres, quand les valeurs ne guident plus le monde ». Elle ne précise pas ce qu’elle évoque par ce terme assez rebattu de valeurs. De Marx, j’aurai plutôt attendu de lire « ce qu’une minorité inflige à une majorité, sans ou avec son consentement ».
Faisant allusion aux Gilets jaunes – moment de l’écriture de ce Tract – , elle parle à leur sujet de « vies en miettes ». Elle aurait pu parler aussi bien de vies morcelées, vides, machinales, perturbées.
Elle rappelle que pour Sartre l’existentialisme est un humanisme qui suppose de s’intéresser aux autres. Elle précise : « exister, c’est faire lien avec l’autre, c’est porter l’existence de tous comme un enjeu propre. » « Se faire, c’est se former, c’est prendre soin de ». Et d’ajouter : « Je place l’exceptionnalité de l’homme du côté du devoir de symbolisation et de sublimation, qui nous permet non pas de nier nos limites intrinsèques, mais d’en faire quelque chose » (p7). Nous sommes là au cœur de la relation d’aide en clinique alcoologique. Elle précise encore : « Il s’agit de « redonner aptitude et souveraineté dans ce qu’ils sont ». Elle cite Emmanuel Levinas : « le visage de l’autre doit rester une inspiration pour le sujet. »
« Beaucoup se verraient automates pour ne plus souffrir. Et beaucoup se comportent ainsi pour ne pas » avoir à se poser de questions dérangeantes.
Le soignant vise à mettre en valeur la vérité « capacitante » (c’est son terme) des maladies. Le défi de notre accompagnement en alcoologie est d’aider les personnes, notamment celles qui participent régulièrement aux séances de groupe, à tirer de leur perte de capacité (somme toute vulgaire et banale – de ne pas boire avec plaisir et indifférence), des ressources d’eux-mêmes qu’ils ignoraient Il est évident qu’une maladie est source d’expérience et possiblement de changements de points de vue.
Une critique de la fièvre numérique : elle substitue à l’affinement et le développement maîtrisé de capacités une augmentation technique, prothétique.
Cynthia Fleury a eu l’idée d’inclure une chaire de philosophie non à l’université mais à l’hôpital. Toute proposition gardée, c’est ce que nous faisons avec le groupe intégratif. Elle insiste sur la relation dialectique entre « le lieu et de devenir » (p16). Elle évoque « une philosophie clinicienne qui s’articule effectivement avec la pensée des parties prenantes ». C’est exactement ce que nous faisons. Elle cite un certain Boltanski qui affirme que « la pensée est inséparable d’un vécu » et que
« vouloir vivre autrement mène à penser autrement » (p18).
La page 20 reflète vraiment notre pratique. Jugez-en plutôt : « Prendre soin de quelqu’un, c’est prendre le risque de son émancipation, et donc de la séparation. C’est l’amener vers son autonomie, lui laissant le privilège de la coupure et pour soi le sentiment d’abandon et d’ingratitude, inévitable ». Tiens, Cynthia Fleury exprime quelque chose que tout soignant a ressenti avant de s’en accommoder.