Réalisation : Renaud Fély, Arnaud Louvet
Scénario et dialogues : Arnaud Louvet, Renaud Fély, Julien Peyr
Date : 2016 / F
Durée : 87 mn
Acteurs principaux : Jérémie Renier (Elie de Cortone), Elio Germano (François d’Assise), Olivier Gourmet (Cardinal Hugolin), Thomas Doret (Etienne), Alba Rohrwacher (Claire Offreduccio)
SA/HA
Mots clés : Pauvreté – Spiritualité − Compromis – Ecologie − Amitié
Prendre l’option, en 2016, d’évoquer la vie de François d’Assise, est original.
On se doute que le financement et la commercialisation de ce film, assuré d’une faible audience, n’a pas du être simple, tout comme ne l’avait pas été le « Pôle emploi ne quittez pas » de Nora Philippe. L’obstination aboutit parfois à un bon résultat. Le scénario respecte les grandes lignes de la biographie de François d’Assise, au commencement de sa communauté.
Pour l’essentiel, François a été le fils ainé d’un riche marchand drapier et d’une jeune femme de la noblesse provençale. Après une prime jeunesse festive, alors qu’il était destiné à prendre la suite des affaires familiales, il fut visité par la foi et une passion pour les plus pauvres. Déshérité par son père, dont il distribuait généreusement la fortune, il créa assez rapidement une communauté de « frères ». Une jeune aristocrate, prénommée Claire, créa en parallèle un ordre pour des religieuses, les futures « Clarisses ». La reconnaissance des « petits frères des pauvres » par l’Eglise n’alla pas de soi. Une première Règle, établie par François, fut rejetée, jugée trop extrême, « bonne à jeter aux cochons », selon le mot d’un prélat. François refusait toute organisation du mouvement qu’il avait suscité. Pour lui, seul comptait le service aux pauvres et l’énonciation publique de la Foi, de l’Espérance et de la Charité. Une seconde Règle, conforme aux souhaits de la hiérarchie ecclésiastique, fut établie puis adoptée sous l’action d’un disciple et ami de François, Elie de Cortone. François avait abandonné la Direction de son Ordre. Moins de deux ans après sa mort, François d’Assise était canonisé…
Le film a bénéficié des décors naturels des Corbières, de la Provence et de l’Ombrie, région originaire de François. Il met en scène plusieurs types de confrontations. A l’intérieur de la petite communauté charismatique initiale, tout d’abord. Il montre également les tensions entre les conceptions de François et celles de l’Eglise. Il vaut surtout par l’opposition qui s’établit entre Francois et son meilleur ami, Elie de Cortone, sur la nécessité et les modalités de pérennisation du mouvement qui se développait.
Le compromis séculier
L’Ami peut donner lieu à une réflexion sur plusieurs sujets d’actualité permanente. Nous avons choisi d’en distinguer cinq :
- la pauvreté,
- les compromis,
- l’écologie,
- l’amitié,
- la spiritualité.
La pauvreté a existé et existera de tout temps. Elle posera toujours un probléme politique. Elle justifie un débat dans le domaine même du soin psychique et de l’alcoologie. Nous pouvons, à juste titre, estimer inacceptable et combattre l’absence de couverture sociale pour le soin psychique en dehors du cadre de la psychiatrie. Nous pouvons, de même, mettre en question le principe de l’assistanat appliqué à l’accompagnement alcoologique et addictologique. Il existe une contradiction entre le fait de s’appauvrir, à tout point de vue, par l’usage de drogues − y compris l’alcool – et d’être dispensé de toute participation financière pour prendre la mesure de dépendances ruineuses. La pauvreté n’est pas une maladie génétique irréversible. Il appartient à chacun d’entre nous de la combattre, en premier lieu pour soi, dans tous ses aspects, notament intellectuels, affectifs et éthiques, sans faire de fixation aliénante sur sa capacité à posséder, paraître, consommer. Dans un pays soumis à un impôt équitable, proportionnel au Revenu, la pauvreté est prise en compte par la Loi. Les besoins non directement satisfaits par elle doivent pouvoir trouver des réponses complémentaires par des donations, elles mêmes encadrées par la Loi. La mendicité peut être vécue, de nos jours et dans nos pays, comme une aggression et une critique du Pouvoir institué, alors qu’elle s’imposait comme une nécessité à une époque où il n’existait aucune protection sociale.
La pérennité d’un mouvement de nature spirituelle ou intellectuelle pose le problème de sa sécularisation. Comment une innovation − dés lors qu’elle n’épouse pas les intérêts financiers de ceux qui détiennent le pouvoir − a-t-elle la possibilité d’être reconnue, encouragée et développée, quand son utilité sociale ne fait guère de doute pour la fraction éclairée qu’elle concerne au premier chef ? Certes, le penser-conforme et le déni social exercé masquent-ils la perception même de l’innovation. Simultanément, des besoins objectivement nuisibles sont exaltés, des impostures sont constituées en normes opposables. L’innovation ne comportant pas de retour immédiat sur investissement dérange les habitudes et l’Ordre établi. Le Nouveau peut d’ailleurs refléter un retour à des sources plus ou moins négligées ou abandonnées. C’est ce qu’évoque, à sa manière, l’histoire de François. Sauf que l’intransigeant et néanmoins inspiré religieux établit une équivalence entre pauvreté matérielle affective et spirituelle. Son ami, Elie de Cortone, a admis la nécessité de trouver des compromis avec l’Institution pour que leur histoire continue. La double injonction « ni périr ni trahir » appartient à tout mouvement nouveau. Quelles concessions est-il possible de faire pour péreniser l’action sans la dénaturer ? Il existe toujours chez les continuateurs la tentation de se conformer aux usages établis, de banaliser ce qu’ils n’ont pas vraiment compris et de s’installer dans une forme de routine. Il se conçoit que le Pouvoir en place ait le souci de récupérer, dans ce qui est neuf, les éléments susceptibles d’assoir sa continuité et se débarrassant, du même coup, d’une source de déstabilisation. Le dilemme d’Elie de Cortone est douloureux, et fréquent dans la vie commune : que doit-on préserver, qu’est-il possible de retrancher ou d’ajouter, sans que l’essentiel ne soit dénaturé ? Au-delà des rapports de force, il serait indispensable, entre personnes de bonne volonté, même si la sensibilité et les intérêts divergent, de trouver des compromis qui laissent l’avenir ouvert. Ce n’est pas une bonne politique que les forts écrasent les faibles et que l’arbitraire l’emporte sur le dialogue. La connaissance des microscosmes montre cependant que la raison d’être, le bon sens et l’amitié supposée s’effacent devant les positions de pouvoir. Le carriérisme comble aisément les ambitions moyennes.
Transformer François en écologiste de la première heure est un contresens moderne. Il n’avait pas la moindre idée de ce que pouvait être une civilisation industrielle et de ses nuisances, n’ayant comme référence que la prospérité marchande de son père, au début des années 1200. En revanche, il aimait les animaux, comme appartenant à la Création, et il admirait la Nature. Le film le montre à plusieurs reprises, assis, face au ciel étoilé, équivalent de contemplation que n’eut pas désavoué un Spinoza ou un poète. Le film ne relate pas l’épisode légendaire du loup qu’il apprivoisa devant les portes de Gubbio, au point d’en faire un animal de compagnie pour ses habitants. Dommage ! Cette légende tranche avec la diabolisation durable, de cette bête par la Sainte Eglise, peu regardante sur l’usage de la superstition. En apprivoisant le loup redouté, François incarne la force de l’Esprit sur les pulsions. L’alcoologie donne l’occasion de vérifier le pouvoir de changement de la parole sans préjugés, avec l’avance de la bienveillance, l’utilité possible du Surmoi dans la maitrise des pulsions et compulsions.
L’amitié est davantage vécue par Elie pour François, que l’inverse. Le Saint est indisponible pour ce genre de sentiment trop exclusif. Les frères sont une communauté peu différenciée, soudée par un fondamentalisme sourcilleux, intolérant et fermé. Elie apparaît comme un homme de Foi et de Raison. Il aime François, comme « une mère », pour son attachement passionné aux principes évangéliques et sa fragilité. Il a plus de sens pratique et d’humanité concrète que François, le mystique. Il sauve la vie d’un bébé, qu’il baptise Etienne. Plus tard, ce dernier deviendra « frère » à son tour, en toute liberté. Elie s’attire les foudres de la communauté quand il s’emploie à cultiver de la terre pour donner à manger aux pauvres. Elie sait qu’il y a un prix à payer pour que l’Ordre soit reconnu et qu’il perdure. Sa rigueur intellectuelle est-elle balayée par les impératifs du compromis, au moment décisif de l’élagage de la Règle ? Le Saint d’Assise s’est refusé à se comporter en politique. Dès lors, Elie fait ce que celui qu’il admire s’est refusé à faire. « L’ami » manque ensuite se suicider par défenestration, à l’exemple de Judas, tellement il vit un malaise. Olivier Gourmet campe un Cardinal Hugolin doublement acquis à l’esprit insufflé par François et à la nécessité d’être « réaliste ». Il accompagne par la lecture Elie, le rescapé, pour l’aider à surmonter les conséquences de sa solitude décisionnaire. L’alcoologie donne lieu à de nombreuses relations à caractère amical, qui respecte la liberté de chacun. Il est des choix délicats quand un intérêt particulier s’oppose à l’intérêt général ou quand les limites de l’action se manifestent, face à un patient qui se met en position de danger.
Le dernier point soulevé par l’histoire de François est, évidemment, la spiritualité. Les incroyants ne savent pas trop comment la définir et les croyants la travestissent habituellement en morale, aussi formelle que culpabilisante. François donne des réponses : les oiseaux gracieux qui se posent sur son épaule ou picorent dans sa main, le loup tranformé par la douceur et la parole, la majesté éblouissante d’une nuit étoilée, l’harmonie de la nature, l’élan qui renverse les peurs et les préjugés, l’intérêt porté à l’autre, le mépris pour l’enrichissement matériel et les honneurs, l’acceptation d’un mort qui vient à son heure. L’ensemble donne de la joie. Elie ajouterait le sens de l’organisation et du compromis. Et les fourmis, le sens de la besogne et de la constance.
Le tout aussi se vit dans l’accompagnement psy-alcoologique qui est à l’envers de l’enfermement communautaire.
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