17-06-2024
Je commencerai par un souvenir d’étudiant. En ces temps lointains, la première année de médecine s’achevait par un oral pour chaque matière. Je me retrouvai devant un examinateur qui était le fils du professeur de chimie. Ce dernier était un alcoolique notoire. Il attendait sans fausse honte l’heure de son cours à la terrasse d’un café-bar bien connu du boulevard Henri IV, à Montpellier, à quelques pas de la Faculté, derrière une chope de bière. Cet homme était un communiste déclaré et nous avions tous lieu de penser que son fils, appariteur dans son service (la passion révolutionnaire n’exclut pas ce genre d’accommodements), l’était tout autant que lui. Je ne détestais pas la Chimie mais, je devais me rendre à l’évidence, la Chimie ne m’aimait pas. Ce que je pouvais débiter avec aisance comme enchaînement de formules la veille au soir s’était évaporé le matin. Au réveil, l’amidon ou le glycocolle avaient retrouvé leur tout mystère. Bref, je ne me faisais pas d’illusion en prenant place face à cet homme débonnaire. Pendant qu’il me demandait, avec un sourire engageant souligné par une élégante moustache, si j’étais satisfait de mon écrit, j’avais pu parcourir en un instant la ligne concernant mon nom sur son grand cahier et y découvrir un humiliant 6/20. « Ah, vrai dire, monsieur, je suis étonné d’être devant vous, tellement ma copie doit être nulle. Je pensais avoir une note éliminatoire ». Sans l’avoir recherché, j’avais donné à cet homme, sans doute dévalorisé par sa position de fils-de-son-père, car il était appariteur dans le service de Chimie, l’occasion d’un bon mot « communiste » : « Vous avez l’autocritique constructive ». La glace était brisée. J’avais été le support d’un mot d’esprit. J’ai eu 16/20 à l’oral et j’ai tenu cette moyenne à chacune des différentes épreuves.
Ce hors sujet me permet d’évoquer plusieurs notions rattachées à l’autocritique et à la façon de restaurer une image de soi ou une relation compromise : ne pas donner à l’autre l’occasion de nous discréditer en prenant les devants, puis lui démontrer que nous sommes capables du meilleur.
Longtemps, la personne alcoolique est écrasée de honte. Elle doit subir des critiques et des humiliations qu’elle suscite par ses écarts de conduite.
Ce serait aggraver son cas pour elle d’invoquer des circonstances atténuantes ou de retourner les critiques. Il y a un temps pour tout.
Si je peux partir de l’exemple du hors sujet de l’oral de Chimie, je crois que toute personne devenue alcoolodépendante doit d’abord se reconnaître comme telle, admettre la nullité de sa « copie », évacuer tout sentiment de honte et de culpabilité, en prenant conscience que la mise en place de sa dépendance à l’alcool est un fait acquis (ainsi l’incapacité à retenir durablement les formules de chimie), tout comme les effets induits (une note quasi éliminatoire). Partant de là, il reste à s’éloigner au plus vite d’un domaine de déboires (la chimie-alcool) et s’occuper de choses plus sérieuses (en tant que personne dotée d’autres capacités).
La connaissance fine de la problématique alcoolique, complétée d’une connaissance sans cesse approfondie de l’être humain et de la société, est de nature à aiguiser le sens critique, à générer de nombreuses satisfactions, en atténuant les passions tristes : la haine, l’envie, la jalousie, la rancune, la peur ou encore le ressentiment, thème que nous aurons à travailler ensemble. Promis, juré.
Avec-vous du mal avec l’autocritique ? Celle-ci vous-t-elle permis de progresser en tranquillité intellectuelle et d’atténuer vos éventuelles imperfections ?